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tombe n’est qu’un objet à respecter. Le respect des tombeaux, oui, mais pas le culte. Il serait puéril. Et cette visite où tu n’auras aucun de nous pour partager ta douleur [George Sand est à Paris quand elle écrit ces lignes] sera une souffrance sans fruit pour ton âme. Ajoute à cela le froid, la lassitude. Si tu veux me rendre moins triste ce jour-là, tu y renonceras. D’ailleurs, que signifie un anniversaire ? Est-ce parce que le temps a marqué un certain nombre de jours et d’heures, que nous devons sentir une perte plus cruelle ? N’est-ce pas tous les jours l’anniversaire d’un tel malheur ? Les regrets sérieux n’ont pas de préjugés, et ne recherchent pas les crises à heure fixe.

Je t’embrasse. Viens dîner aujourd’hui, si tu es libre. (9 janvier 1856.)


Solange ne se laissa pas convaincre. La douleur est individuelle, comme la maladie : chacun la traite suivant son tempérament. Elle alla donc à Nohant. Comme elle s’attarde, sa mère la rappelle :


Laisse les choses dans l’état où elles sont, ma chère fille. Laisse dans cet endroit la croix que tu as apportée. Je la ferai placer pour le mieux quand j’y serai. Jusque-là, j’ai défendu aux ouvriers et au jardinier de rien faire sans mon ordre. Reviens, car tu ne fais que t’enrhumer là-bas. Je l’embrasse. (15 janvier 1856.)


L’année suivante, même intention chez Solange, même souhait exprimé par sa mère avec quelque chose de plus.


Je te prie de ne pas venir pour cet anniversaire dont l’établissement me serait douloureux, et contrarierait toutes mes notions et toutes mes idées. Tu le sais. Et tu sais aussi que j’ai d’autres raisons pour éloigner ton retour ici. Tu me ferais beaucoup de chagrin en insistant et en venant au pays dans les circonstances actuelles. J’espère que tu ne trouverais aucune satisfaction à m’affliger. Je ne veux pas croire que cela soit possible.

Je t’embrasse et pense te revoir à Paris, bientôt, bien que je ne m’annonce encore à personne. (3 janvier 1857.)


L’insistance particulière de George Sand s’explique cette fois par la disposition du cimetière de famille, qui ouvrait sur la propriété de Nohant ; le terrain avait été pris en enclave sur cette propriété. Il était cependant contigu au cimetière du village : seule une légère haie vive l’en séparait. Il fallait donc passer par l’habitation et par le jardin, pour gagner la porte privée ; sinon, éviter ostensiblement le château, faire le tour, traverser tout le champ du repos, et franchir la haie pour arriver à la petite tombe. Cette double alternative peinait également George Sand. Sa lettre d’ailleurs peina non moins Solange, qui accomplit en