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un effort de caractère la faveur qui lui était accordée. Les raisons de cette politique maternelle se devinent, et nous n’y toucherons que d’une main légère. Il suffit d’indiquer que George Sand « retint » longtemps Solange par Nohant ; et que la fréquence ou la rareté des apparitions de Solange à Nohant, à partir d’une certaine date, fixe en quelque sorte le baromètre de sa vie morale. Trop de lettres ont d’ailleurs disparu, sur la période dangereuse, dans cette double correspondance, pour que nous puissions faire autre chose que donner à ce sujet une simple indication.

Ainsi, très vite après la mort de l’enfant, nous percevons avec netteté ce qui unira toujours ces deux femmes, soit dans la communauté du souvenir, soit dans l’affection naturelle, et ce qui les empêchera toujours d’être cœur contre cœur, et surtout conscience contre conscience. Bientôt, il y aura tout un côté de la vie de sa fille que sa mère désirera ignorer, et la distance s’allongera entre elles. George Sand déclarera expressément à sa fille ne pas vouloir connaître l’usage qu’elle fait de sa liberté, trop sûre qu’elle serait d’avoir à blâmer ; et la conversation, détournée du terrain moral où la mère l’avait longtemps maintenue, oscillera désormais vers les voyages, la politique, pour se fixer enfin, avec une insistance significative, sur les sujets de littérature. Mais n’anticipons point, et voyons comment, de ces deux âmes accablées par l’épreuve, l’une se releva assez rapidement dans un sursaut d’énergie, tandis que l’autre, après avoir longtemps plié sous son dolent ennui, promenait en divers lieux sa tristesse et finissait par s’imposer d’utiles distractions.


II

Après six semaines de torpeur, George Sand comprit qu’il lui fallait s’arracher de Nohant. Une diversion violente pouvait seule la ranimer. Elle résolut de retourner en Italie, dans cette Italie dont son imagination toujours fraîche avait gardé, malgré vingt ans écoulés, un véritable éblouissement. Cette fois, elle voulait faire connaissance avec Rome et ses environs. Ce n’était pas petite affaire qu’un tel voyage ; car elle ne se séparait point de ses compagnons habituels : son fils d’abord, puis Manceau, son factotum, devenu indispensable à sa vie par ses offices de tous les instans, et même, du moins une partie du trajet, ses hôtes