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Lanfrey m’aurait pu donner d’excellens avis et de profitables leçons. Mais il en eût fallu apprendre trop long avec lui. Et puis il est si occupé ! il a depuis longtemps décliné l’honneur de m’apprendre quelque chose[1]. Si je lui demande de revoir ce que j’ai fait, il écrit en marge toutes sortes de gamineries de collégien qui ne sont même pas drôles, la légèreté badine n’étant pas son fait. Il est plus que décourageant, il est aplatissant. De manière qu’entre un ami trop méprisant et d’autres trop aimables je me suis trouvée le… chose par terre. J’ai péché en eau trouble, au hasard de la fourchette. Tant mieux si j’ai amené un morceau à peu près mangeable, et si le public l’avale sans sourciller. Mais, pour moi, depuis que j’ai vu ce morceau sur une assiette de porcelaine, je ne le trouve pas chic, et d’une autre main je ne l’accepterais pas. J’ai la prétention de m’y connaître assez pour ne pas croire à mon talent. Pour l’instant, me voici assez démontée. J’ai commencé trois choses différentes : une pièce moderne, un roman Henri III, une nouvelle en 1820. Ça ne marche pas. Avec Jacques Bruneau j’allais de l’avant avec l’aplomb de l’ignorance. À cette heure, je sens que l’instrument me manque pour dire ce que je veux dire, comme je le voudrais dire. Je reçois de tous côtés des complimens. Mais je sais à quoi m’en tenir, et je pense à César après le passage de son trop fameux Rubicon.


En dépit de cette confession sincère, Solange était amorcée. George Sand, qui s’en applaudissait deux fois, redouble d’encouragemens. La pièce, plus avancée que le roman « Henri III » et les poèmes, lui fut communiquée, acte par acte. Le premier fut jugé charmant : « Continue ta comédie. » Que risquait-elle ? George Sand, en la prévenant d’avance que, quoique fort jolie, sa comédie pouvait n’être pas « scénique, » avait ajouté spontanément : « Si elle n’était que jolie, j’essaierais de la faire agréer à la Revue des Deux Mondes (8 juin). » Ainsi Solange pouvait espérer voir son nom figurer dans le recueil même où sa mère avait donné ses œuvres les plus glorieuses. Malgré cette flatteuse perspective, la pièce ne paraît pas avoir été au-delà du troisième acte. Le second se soutenait encore. « L’embrouillage vient, écrit George Sand le 13 juillet, de ce nouveau personnage arabe qui arrive à la fin du troisième acte. » Ce personnage s’appelait Amrou. Nous voyons par d’autres lettres que les autres rôles de la pièce étaient : Sélim, principal rôle ; Mme de Beauval, et la mère Delmas, pour les femmes ; un rôle de général, un jeune premier, etc. Qu’advint-il de cette ébauche ? et de même, qu’étaient les « études » en prose, et les poèmes dont Solange soumit les brouillons à sa mère, et au sujet desquels

  1. Ceci est exact. Les lettres existent, elles sont même fort piquantes.