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pouvoir puiser largement dans d’importantes archives particulières : il en a rapporté des pièces qui ne sont pas toutes de même valeur, mais dont quelques-unes au moins sont très intéressantes : ce sont des lettres de Mme de Staël, de Chateaubriand, de Ballanche, de Mathieu et d’Adrien de Montmorency et de plusieurs autres parmi les plus fameux correspondans de Mme Récamier. Il les publie en les reliant pur une sorte de récit continu qui suit les Souvenirs et Correspondance de Mme Récamier publiés, il y a un peu moins de cinquante ans, par sa nièce Mme Lenormant, les complète et les rectifie en plus d’un endroit. Nous accompagnons ainsi Mme Récamier à travers ses diverses fortunes, depuis le brillant hôtel de la rue du Mont-Blanc jusqu’au modeste appartement de l’Abbaye au Bois. Nous la voyons tour à tour fêtée sous le Directoire, persécutée sous l’Empire, adulée sous la Restauration, pour la retrouver, vieillie et cent fois plus aimable, dans les années qui suivent 1830. Confiant dans l’intérêt des documens qu’il produit, l’auteur de ces deux volumes s’est le plus souvent borné à les encadrer. Il semble s’être défendu de faire œuvre personnelle. Il n’a voulu être que l’heureux chercheur qui nous fait partager le plaisir de ses trouvailles. Il nous convie à feuilleter avec lui ces lettres dont il a touché avec émotion le papier jauni. Et il suffit en effet que ces lettres précisent plusieurs points de biographie, qu’elles éclairent certains aspects du caractère de ceux qui les ont écrites. Nous nous bornerons, à notre tour, à en mettre sous les yeux du lecteur les passages les plus curieux.

Aucune femme n’a eu plus d’amis que Mme Récamier ; ce qui est remarquable, c’est qu’ils avaient tous souhaité d’être pour elle quelque chose de plus. C’était son art de convertir en amitiés ces passions qu’elle n’avait pas satisfaites. Nous trouverions ici au grand complet ce cortège d’adorateurs dont chacun apparaît à sa date dans la suite du récit. Les voici tous, depuis Lucien Bonaparte et Bernadotte, jusqu’à Auguste de Staël et J. -J. Ampère : princes, grands seigneurs, hommes de guerre, artistes, écrivains, les pères et les fils, les cousins, les oncles et les neveux : aucun d’eux ne mourait, mais tous étaient frappés. Elle-même, pourtant, celle qui, sur son passage, soulevait ce grand murmure d’amour, se peut-il qu’elle soit demeurée toujours insensible ? N’a-t-elle jamais brûlé des feux qu’elle allumait ? Nous avons beaucoup de peine à le croire : cette impassibilité éternellement souriante serait trop inhumaine. La chronique, les Mémoires du temps, la relation de Mme Lenormant nous ont laissé deviner qu’il y avait eu dans la vie de Mme Récamier tout au moins une crise