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Récamier, et c’est la meilleure partie de sa gloire, a porté dans l’amitié une délicatesse et un dévouement incontestables. Son attachement à Mme de Staël a été la véritable cause de son exil. Et le calme avec lequel elle supporta cette épreuve était pour Mme de Staël un objet d’étonnement si ce n’est d’émulation : « Que je suis loin de ce calme courageux !… Vous êtes plus isolée, plus à plaindre dans votre situation que je ne suis dans la mienne, et c’est vous qui me consolez ; mais ce que j’ai et dont Dieu vous a préservée, parce que vous ne méritez pas une si cruelle peine, c’est un sombre découragement qui ne laisse pas percer dans mon âme un rayon d’espoir… Vous avez plus de caractère que moi. » En tout cas, elle n’avait ni la même fièvre, ni le même besoin d’activité ou d’intrigue. Elle souffrait beaucoup moins de l’exil. Ce n’est pas elle qui eût trouvé cette éloquente exclamation : « Personne ne peut se faire l’idée de ce que c’est que l’exil, c’est l’hydre aux cent têtes en fait de malheur ! » Toutes les lettres qu’on nous donne de Mme de Staël témoignent dans le même sens, et nous la montrent en proie à cette soif de mouvement et d’agitation dont elle ne cesse d’être dévorée.

C’est auprès du lit de mort de Mme de Staël que Mme Récamier avait rencontré Chateaubriand. Elle commença à le recevoir en 1818. Elle fut très vite dominée, subjuguée par lui. Il fut tout de suite évident que celui-ci régnerait sans partage ; aussi y eut-il dans le cercle de Mme Récamier un instant de désarroi causé par l’entrée soudaine et aussitôt triomphante du nouveau venu. Les anciens amis s’alarmèrent, témoignèrent, chacun à sa façon, de leur tristesse et de leur mécontentement. Ils s’efforcèrent de mettre leur amie en garde contre une domination dont ils prévoyaient la tyrannie, contre une liaison qui ne pouvait manquer d’apporter son contingent de souffrances. Le fait est qu’un grand chagrin attendait Mme Récamier : bientôt, dans une crise de dépit, elle songera à rompre toutes relations avec celui qu’elle avait trouvé si tôt infidèle ! Ce fut la véritable raison du second voyage qu’elle entreprit en Italie, en 1823. Les contemporains avaient soupçonné ce mobile secret ; mais Mme Récamier s’en explique clairement avec ses intimes. A Paul David qui s’étonnait qu’elle prolongeât son séjour de l’autre côté des monts, elle répondit tristement : « Après toutes les distractions d’un voyage, l’Abbaye pourrait paraître bien triste cet été ; je crains aussi d’y retrouver des agitations qui me sont odieuses. Je reçois des lettres douces, on se plaint de mon absence, on demande mon retour ; mais, avec une personne qui manque de vérité, on ne sait jamais vivre et je suis absolument