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réservée et plus discrète ; il nous aurait épargné quelques embarras s’il l’avait adoptée. Mais enfin, le fait pour des navires de guerre d’entrer dans les eaux d’une puissance neutre ne constitue pas en soi une violation de la neutralité, pourvu qu’ils n’y restent qu’un temps raisonnable et qu’ils n’en fassent pas une base d’opérations contre l’ennemi. Or que s’est-il passé à Kam-Ranh ?

Nous n’avons eu qu’à signaler la situation au gouvernement russe, et l’empereur Nicolas a envoyé spontanément à l’amiral Rodjestvensky l’ordre de sortir des eaux françaises. L’ordre de l’empereur a été immédiat. L’amiral russe a quitté aussitôt la baie de Kam-Ranh et s’est dirigé vers le Nord. Les Japonais prétendent qu’il est revenu dans nos eaux, ce qui n’est nullement prouvé ; mais, s’il l’a fait, il n’a pas tardé à reprendre la haute mer. Il serait, d’ailleurs, équitable d’apprécier la difficulté, et parfois l’impossibilité pour nous de surveiller une longue étendue de côtes où il n’y a souvent ni routes, ni télégraphe. Quant à l’amiral Rodjestvensky, il suffit qu’il soit à plus de trois milles du rivage pour que nous n’ayons rien de plus à lui demander : au-delà de cette limite il est maître de faire ce qui lui convient, et ce n’est plus là seulement une règle française, mais une règle universelle. S’il trouve le moyen de se ravitailler par le concours de commerçans libres, c’est son affaire : les Japonais seuls ont droit de l’en empêcher, car c’est là un acte de guerre. Toutes ces règles peuvent être tempérées dans la pratique ; nous pouvons faire plus, ou faire moins, dans le cadre assez élastique où nos règles habituelles enferment notre liberté ; mais ce que nous pouvions faire, nous l’avons fait, et lorsque le calme sera revenu dans leur esprit, les Japonais sauront le reconnaître. Nous avons eu pour eux des ménagemens dont ils devraient dès maintenant nous savoir gré. On ne peut pas oublier, en effet, que nous sommes les alliés des Russes en Europe : il en résulte pour nous des obligations qui sont d’ailleurs tout à fait conformes à nos sentimens. Est-ce qu’on peut sérieusement nous demander de restreindre à leur détriment des règles de neutralité que nous n’avons pas inventées pour les besoins de la circonstance actuelle, mais que nous avons dans tous les temps soutenues et appliquées envers et contre tous ? Et n’est-ce pas ce que font les Japonais ? Nous pourrions nous en plaindre à notre tour, si nous ne tenions pas compte de la surexcitation que l’état de guerre, arrivé à la période où il est aujourd’hui, donne inévitablement aux esprits. La partie qui se prépare sera, en effet, décisive. Si, la mauvaise fortune continuant de s’acharner contre la Russie, l’amiral Rodjestvensky est vaincu, la dernière carte