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Certains placards parlaient même de Bru tus et de Ravaillac.

Ce qui était, à un autre point de vue, plus grave encore, c’est que, à la Cour, le mauvais esprit gagnait les plus hauts placés. Un officier général, ami de l’ambassadeur vénitien Mocenigo, s’ouvrait à lui de l’état des affaires dans une conversation dont celui-ci s’empressait de rendre compte à la Sérénissime République. « La nation est avilie, lui disait-il, le cabinet manque de courage. A la tête des régimens sont des jeunes gens fraîchement sortis des écoles. L’antique discipline est perdue dans les armées royales. Dans les guerres précédentes, les Français étaient accoutumés à vaincre ; dans celle-ci, ils ont toujours été battus. C’est pourquoi si, d’ici à deux mois, la paix n’est pas conclue, il n’y aura pas de sécurité à Paris, et le Roi lui-même ne sera pas en sûreté à Versailles, » et Mocenigo ajoutait cette réflexion dont la sévérité ne va pas sans quelque justesse : « Il est vrai que cette nation ne sait ni supporter la disgrâce, ni se modérer dans la fortune, car dans la première, elle s’abandonne et se décourage, et dans la seconde, elle s’enorgueillit et devient insolente[1]. »

Si chargée encore de flatteries que fût l’atmosphère au milieu de laquelle vivait Louis XIV, ces rumeurs du dehors parvenaient à en traverser l’épaisseur. Ce qu’il ne savait pas directement de ces attaques, il le devinait. Il ne pouvait pas se dissimuler combien il était déchu de son prestige. Son orgueil en dut cruellement souffrir, et, s’il avait commis des fautes, elles étaient en partie expiées. Aussi est-il impossible de ne pas compatir aux larmes qu’il versait en entendant cette péroraison d’un sermon du Père de la Rue qui, par la nouveauté et la hardiesse du ton, fit alors grand bruit : « Nos péchés sont montés jusqu’à votre trône, Seigneur ; mais vous avez promis que vous ne mépriseriez pas un cœur humilié, et vous en voyez au pied de vos tabernacles qui ne sont pas indignes de vos attentions. Sire, je vous parle avec d’autant plus de liberté que les vérités que j’avance à votre peuple sont les sentimens intérieurs de votre cœur. Le commencement de votre règne a été amer et difficile ; la fin en est encore plus laborieuse, et l’intervalle qui touche à ces extrémités a été semé de lis et de roses. Peut-être avez-vous négligé de les renvoyer à Dieu seul ; il les reprend et sa justice se dédommage. C’est de là

  1. Bibliothèque nationale. Fonds Italien, 1930, Filza 207, p. 9. Dépêche du 3 mars 1709.