Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 27.djvu/614

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

momens où l’opinion comble d’honneurs les artistes qu’aux époques où ils faisaient figure dans les cours espagnoles entre les bouffons et les barbiers et mouraient à l’hôpital. Ni l’élévation sociale des fonctions d’artiste, ni la diffusion des modèles, ni la création d’innombrables musées, ne font surgir un seul génie inconnu. Jamais l’art n’a été plus encouragé, ni plus décourageant.

Il ne faut pas en conclure à sa décadence. Un art n’est pas en décadence nécessaire et irrémédiable, parce qu’il ne s’affirme point chaque année par 11 924 œuvres saisissantes, et l’on n’a jamais vu, même aux plus belles époques de l’activité florentine ou vénitienne, les peintres fournir de quoi faire la gloire de trois Salons de printemps, d’un Salon d’automne, d’un Salon de femmes peintres et sculpteurs, de trente à quarante expositions de cercles ou de sociétés particulières, et enrichir, encore, celles des amateurs ou des employés de Chemins de fer ou des Postes et Télégraphes, ou de simples particuliers, curieux de se présenter avec toutes leurs œuvres devant le public, et d’éprouver un avant-goût de ce qui sera un jour, pour leurs œuvres et pour eux-mêmes, une sorte de jugement dernier. Cette immense floraison d’herbes parasites étouffe le bon grain ou le dissimule à la vue. Si l’on entre au Salon en quittant quelque musée, il ne faut pas comparer le produit de trois ou quatre siècles d’art, sélectionné par les incessantes évolutions du goût avec le déballage des envois de deux ou trois mille ateliers, pendant une année, présentés tels quels, dans la plus effrayante promiscuité. Toute comparaison serait une injustice. De fait, on a vu, durant l’année qui vient de s’écouler, dans les expositions de cercles, à la galerie Georges Petit, à la galerie des Artistes modernes, chez MM. Graves ou Durand-Ruel, des essais de traductions nouvelles de tel ou tel texte de nature et même des réalisations assez puissantes pour donner au passant ou à l’observateur une minute de joie. Il serait difficile de trouver dans tous les cartons des aquarellistes du siècle quelque chose de plus franc, de plus preste et de plus éclatant que les aquarelles de M. Pierre Vignal, et ceux qui ont vu les Foires et Marchés de M. Julien Le Blant, occupé jadis à des œuvres de chouannerie, ont admiré comment un artiste, dans toute la force de l’âge et du succès, pouvait renouveler non seulement ses sujets, mais son angle visuel, mais sa couleur, mais sa facture et jusqu’à