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de le figurer dans un juste équilibre. Des attitudes sans nombre que les anciens n’avaient pas soupçonnées allaient entrer dans la statuaire et, de fond en comble, la renouveler…

Aujourd’hui, il n’en est plus question. Les espérances nées de ces découvertes sont mortes d’une découverte plus importante encore, ou plutôt de la constatation renouvelée d’une loi qu’on n’a jamais prise en défaut : c’est que les sens et le sentiment esthétique même ne peuvent jouir que de ce qu’ils perçoivent tout seuls. Pour notre curiosité, sans doute, rien de plus intéressant que les recherches des savans sur la marche de l’homme, sur l’expression du frontal, sur l’indice morphologique du pouce, sur la contraction des muscles dans la lutte ou le saut : pour notre joie esthétique, rien de plus inutile. Car de deux choses l’une : ou ces nuances tactiles, ces demi-teintes myologiques, ces intervalles infinitésimaux dans la mesure et le rythme du mouvement sont perçus par l’œil de l’artiste ou ils ne le sont pas. S’ils le sont, déjà, il les avait, maintes fois, reproduits ; s’ils ne le sont pas, il ne doit pas les reproduire. S’il le fait, il ne nous procure qu’une sensation faible et bornée. Le secours des engins nouveaux, lui est si peu nécessaire qu’il n’a point permis de relever chez les Anciens une seule erreur que nous voudrions voir redresser. Ils n’ont fait que des fautes heureuses. Toute la part de vérité que l’art peut porter sans en être accablé et dont il peut s’embarrasser sans faiblir est contenue dans les belles œuvres grecques, exprimées par des artistes qui n’avaient aucun de nos moyens d’exploration scientifique. Le reste n’est pas assimilable par l’art. L’instinct des artistes, en leur donnant une étrange acuité pour tout ce qui leur était nécessaire, leur a providentiellement caché tout ce qui ne le leur était pas. Et quand on voit des savans leur apporter des masses de vérités dont ils ne savent que faire, il semble qu’on assiste à ce spectacle étrange : des botanistes prétendant enrichir le chantier d’un oiseau de matériaux qu’il ignore et lui donner des conseils pour faire son nid.

Si l’on ne peut renouveler l’art statuaire par l’appoint des notions nouvelles que nous enseigne la science, peut-on, du moins, le perfectionner grâce aux procédés d’imitation qu’elle nous offre ? C’est encore moins possible. On sait, aujourd’hui, mouler le corps humain avec la plus rigoureuse exactitude. On sait le photographier de tous les côtés à la fois de façon à en donner une reproduction littérale digne du nom de