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Tel était l’homme. Le livre, écrit pour les gens du monde autant que pour les militaires, était un épanchement amer d’opposition autant qu’une belle étude. Il contenait des pages où se révélait un remarquable talent, celles notamment si vibrantes et si pathétiques sur le combat. Beaucoup de critiques étaient fondées, entre autres celles sur les excès de la centralisation. Malheureusement un esprit de pessimisme systématique répandait, sur les critiques fondées et sur les conseils justes, une fausse couleur. Dans la plus grande partie du livre, sous prétexte de n’exposer que des principes, il restait dans un vague commode. Presque tout était mal, du moins dans ce qui était essentiel ; dès lors tout aurait dû être fondamentalement changé. Cependant il concluait à ce qu’on ne changeât rien de fondamental. Fallait-il adopter le système prussien et imposer le service obligatoire ? Comme l’Empereur le désirait, l’homme d’opposition ne pouvait le vouloir : « Ce système serait le meilleur. Mais l’application dans les circonstances présentes en serait impossible. Elle jetterait les esprits, la coutume et notre institution militaire elle-même dans un trouble profond. » Fallait-il élever les effectifs ? L’Empereur le demandait, l’homme d’opposition ne pouvait l’accorder : « Contrairement à l’opinion généralement admise, la réorganisation de l’armée consiste moins dans une loi de recrutement, dans des accroissemens d’effectifs, que dans le redressement de quelques erreurs et le perfectionnement des moyens. On commettrait une faute en exagérant les effectifs, en se laissant trop dominer par les préoccupations de quantité. » Sous les mots à chaque instant répétés d’impartialité, on sentait la violente contraction intérieure d’un Alceste militaire, ambitieux précipité ou déçu, et cependant cet officier à la carrière brillante n’avait aucune raison d’être l’un ou l’autre. Les critiques étaient creusées jusqu’à devenir de la caricature ; les beaux côtés, les côtés incomparables de notre armée, sans être niés, en étant même signalés parfois, ne paraissaient pas avoir frappé son esprit autant que les défauts : on eût dit d’un peintre qui, ayant à représenter un visage d’Apollon défiguré par une verrue, aurait mis en relief la verrue et laissé le visage dans l’ombre.

Que d’injustices se mêlaient même aux jugemens favorables ! Pourquoi répéter que nous ne brillons point par la modestie ? Cela signifiait-il que nos officiers et nos soldats avaient confiance