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commerce et presque pas d’industrie, que, dans ces pays d’esclavage, où le travail manuel est déconsidéré, parmi ces aristocrates dédaigneux, on se moque volontiers de ces pauvres gens qui restent tout le jour sur leur chaise (sellularii), en face de leur travail, et font de mauvais soldats. Ce n’est pas pour eux que Catilina risquerait sa vie. Ceux qu’il appelle des « misérables » sont les gens ruinés, sans ressources, qui ont fait des dettes et ne peuvent pas les payer. Cicéron nous dit qu’il n’y en a jamais eu autant à Rome qu’à cette époque ; il s’en trouve à tous les rangs de la société. En bas, sont les victimes de la petite usure, ces paysans qu’on a peu à peu chassés de leur champ, ces colons, à qui l’on a distribué des terres, mais qui n’ont pas su les cultiver, et sont vite devenus la proie des usuriers de village, les plus malhonnêtes et les plus cruels de tous. Manlius s’est fait leur interprète dans cette lettre à Q. Marcius Rex, dont il vient d’être question. Quant à Catilina, on comprend qu’il s’intéresse surtout aux « misérables » du grand monde, ces blessés de la vie, comme Cicéron les appelle, qui ont connu l’opulence, ce qui leur rend la détresse plus pénible. Comme ils ont mené grandement l’existence, qu’ils étaient joueurs, prodigues, débauchés, ils ont eu bientôt fait de dissiper leur patrimoine et de perdre leur crédit. C’est à ceux-là que songe Catilina dans ses discours, et ils l’écoutent avec transport parce qu’il leur apporte le moyen de refaire d’un seul coup leur fortune.

Comment espère-t-il y arriver ? Il n’a jamais varié dans les moyens qu’il indique. Comme il sait que ceux qui possèdent le pouvoir et la fortune ne se laisseront pas dépouiller sans résister, il ne peut espérer réussir que par la violence. Ses moyens de succès sont l’assassinat et l’incendie. Voici, dans ses détails, le dernier plan qu’il ait imaginé, tel qu’il l’envoyait à ses complices de Rome, par un de ses émissaires, T. Volturcius, qui se fit prendre au pont Milvius. Catilina devait amener ses troupes de Fæsulæ jusque sous les murs de la ville ; il en occuperait les portes au moment même où les conjurés mettraient le feu à Rome. Tout était préparé et réglé d’avance. L’incendie devait être allumé dans douze quartiers différens, de façon que tout flambât à la fois. Plutarque ajoute qu’on devait tuer tous ceux qui essayeraient de l’éteindre, et, pour leur en ôter le moyen, Doucher les prises d’eau. Il était facile de profiter du tumulte et de l’épouvante générale pour frapper les gens dont on voulait