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nouvelles. Monseigneur voulut les voir. Sans crainte de la contagion elles se jetèrent au pied de son lit qu’elles baisèrent plusieurs fois, et, ravies de le trouver en pleine connaissance, lui dirent qu’en rentrant à Paris, elles allaient faire chanter un Te Deum. Le pauvre prince, qui sentait la gravité de son mal, leur dit qu’il n’était pas encore temps. Il avait raison. Le lendemain, son état s’aggravait subitement ; à quatre heures, la connaissance l’abandonnait ; les médecins perdaient la tête et se disputaient entre eux sans prévenir personne jusqu’au moment où Fagon vint dire brusquement au Roi que tout était perdu. Le Roi voulut entrer dans la chambre de son fils. La princesse de Conti l’en empêcha, lui disant que Monseigneur ne le reconnaîtrait point et qu’il entrait en agonie. Le Roi s’affaissa sur un canapé dans la pièce voisine, et y demeura une heure, attendant l’arrivée de la mort, mais non sans avoir fait prévenir le Père Le Tellier. Celui-ci, qui venait de se coucher, se releva et se rhabilla en hâte, mais il ne put recevoir la confession du moribond. Mme de Maintenon, qui était venue s’asseoir avec le Roi sur le canapé et qui « tâchoit de pleurer, » voulut le déterminer à partir. Le Roi s’y refusa, tant que Monseigneur serait encore en vie. La mort survint à onze heures. Il fit alors demander un carrosse. Un serviteur maladroit fit avancer la propre berline de Monseigneur. Le Roi refusa de s’en servir et en demanda un autre. Au moment d’y monter, il rencontra Pontchartrain, et lui dit de recommander aux autres ministres de se rendre le lendemain à Marly pour le conseil de mercredi. Il fallut que Pontchartrain lui dît qu’il n’y avait point d’affaires urgentes, et que le Conseil pouvait être remis sans inconvéniens.

Cependant la nouvelle avait volé de Meudon à Versailles où le désordre et l’émotion régnaient dans le palais. Il n’est personne qui ne connaisse l’immortel tableau tracé par Saint-Simon de cette nuit du 14 au 15 avril, et qui n’en sache en quelque sorte par cœur le récit : l’appartement de la Duchesse de Bourgogne, puis bientôt son salon et la grande galerie remplis de dames en déshabillé ; les courtisans rassemblés en hâte et en confusion ; les uns pénétrés de douleur, les autres attentifs à eux-mêmes pour cacher leur élargissement et leur joie ; les sots tirant leurs soupirs de leurs talons, et, avec des yeux égarés el secs, louant Monseigneur toujours de la même louange, c’est-à-dire de bonté ; les plus fins s’inquiétant de la santé du Roi, se