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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 27.djvu/867

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POÉSIE.

Nul jet d’eau. Le rosier redevient églantier.
Un banc sert de perchoir aux poules du portier.
Vifs, de légers lapins sautent sur les pelouses,
Et d’affreux limaçons souillent de leurs ventouses
Un dieu-terme qui gît sur le sol, mutilé.
Le pauvre pare ! Il est charmant, mais désolé.

Je gravis le perron.

Dans le grand vestibule,
L’humidité déteint les murs et les macule.
En entrant, un frisson vous passe sur le corps.
Là, certains ornemens, — têtes de cerfs dix-cors
Hures de sangliers, trompes à la Dampierre, —
Puis la rampe dorée et l’escalier de pierre
Gardent encore un peu d’aspect seigneurial.
Cependant on sent bien, dès le seuil glacial,
Que la noble demeure est décidément morte ;
Et du salon d’honneur quand j’eus franchi la porte,
Quand, pour donner du jour, le rustique valet
Ouvrit une croisée et poussa le volet,
L’irréparable, la sinistre décadence
M’apparut brusquement dans sa froide évidence.

Oh ! quel fils, du passé de sa race oublieux,
Laissa crouler ainsi le toit de ses aïeux ?
Pierres de sa maison, depuis combien d’années
À cette lente mort vous a-t-il condamnées ?
Qui le sait ?… Je devine un drame, un désespoir…

L’obscure solitude et le silence noir,
Depuis que plus jamais l’air ici ne pénètre,
Depuis qu’on a bouché la dernière fenêtre,
Ont fait leur œuvre ainsi que les vers d’un cercueil.
Le désordre est flagrant dès le premier coup d’œil.
Tout est détruit, gâté, souillé, réduit en loques.
Le grand lustre, brisant toutes ses pendeloques,
Est tombé du plafond et, dans ce choc brutal,
A jonché le parquet de fragmens de cristal