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rente de 692 livres sur le Duc d’Orléans, constituée par contrat du 16 juillet 1754, — sans doute par l’entremise de Mme du Deffand, — et de deux autres rentes, également viagères, de 600 et de 2 000 livres, dont l’origine n’est pas exactement connue[1]. Son revenu montait donc au total à 3 592 livres, suffisant strictement pour vivre, mais ne lui laissant pas « un sol d’argent liquide » pour parer aux dépenses de son installation.

Fort heureusement pour elle, ses amis y pourvurent. Hénault, Turgot, d’Ussé, Mme de Châtillon, se cotisèrent pour subvenir à ses premiers besoins. La maréchale de Luxembourg lui fit présent d’un mobilier complet. Enfin Mme Geoffrin, sollicitée par d’Alembert, fit davantage à elle seule que tous les autres réunis. Loin d’être liée avec Julie, elle ne la connaissait encore que de réputation ; mais, soit pitié sincère de la détresse qu’on lui peignait, soit désir de faire pièce à Mme du Deffand, son ennemie et sa « bête noire, » elle frappa l’un de ces grands coups auxquels se complaisait son double amour du faste et de la bienfaisance. Dans sa galerie, elle prit ses trois plus beaux Van-Loo et les fit proposer à l’impératrice de Russie, qui en donna dix mille écus. Une partie de cette somme servit à l’emménagement de Julie ; le surplus[2]fut remis à Joseph de la Borde, le richissime « banquier du Roi, » qui, en retour, souscrivit l’engagement de faire à la jeune fille une rente à vie de 2 000 livres. A ce don généreux, Mme Geoffrin joignit bientôt une pension d’un millier d’écus, sur laquelle elle garda un si complet silence, que sa fille, la marquise de la Ferté-Imbault, n’en connut l’existence qu’à la mort de sa mère, par l’examen de ses livres de comptes[3].

Grâce à ces libéralités, la fortune viagère de Mlle de Lespinasse atteignit graduellement le chiffre de 8 500 livres environ[4].

  1. De ces deux rentes viagères, l’une, de 600 livres, fut constituée par contrat du 21 mai 1758, l’autre de 2 000 livres, par contrat du 6 octobre 1763. Des documens qui m’ont été gracieusement communiqués par M. Gaston Boissier, il résulte que ces deux pensions étaient versées à Mlle de Lespinasse « sur les revenus du Roi, » ce qui parait confirmer l’assertion des mémoires de Marmontel qu’une partie des rentes de Julie provenait directement de la cassette de Louis XV, sur la demande du duc de Choiseul.
  2. Soit 20 000 livres. — Contrat en date du 5 octobre 1764.
  3. Souvenirs inédits de Mme de la Ferté-Imbault. — Archives du marquis d’Estampes.
  4. Il y faut ajouter 3 000 livres de pension, qui furent constituées par la suite à Mlle de Lespinasse par M. de Vaines et par un autre donateur dont le nom est inconnu.