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dans son attitude envers lui, moins encore dans ses procédés, car, si elle est parfois injuste, au moins n’est-elle jamais ingrate. Elle ne méconnaît pas les hautes qualités de Chastellux et, quand l’occasion s’en présente, elle s’emploie avec zèle à lui rendre service. Ce fut à son initiative, à ses efforts persévérans qu’il dut l’accomplissement de son vœu le plus cher : « Il est bien content de moi, annonce-t-elle à Guibert en octobre 1774[1] ; j’ai échauffé ses amis, et les choses sont si bien arrangées qu’il ne nous faut plus que la mort d’un des Quarante pour qu’il soit reçu de l’Académie. Cela est juste sans doute, mais ce n’était pas sans difficulté. L’intérêt, le plaisir, le désir qu’il mettait à ce triomphe, m’ont animée. Mon Dieu ! Fontenelle a raison : il y a des hochets pour tout âge ! — Comme il est très prouvé, répond sentencieusement Guibert[2], que l’âme est, de toutes les qualités, la moins nécessaire à un académicien, comme, du reste, le chevalier a de l’esprit, des connaissances, de l’érudition même, et enfin un ouvrage qui lui fait honneur, je trouve que c’est parfaitement bien fait de lui donner la première place vacante. D’ailleurs, ce hochet le transportera, il croit déjà le tenir. » Quelques mois plus tard, en effet, lors de la mort de Château-brun, cet espoir se réalisa ; après Suard et avant La Harpe, Chastellux fut du nombre de ceux auxquels l’influence de Julie assura les douceurs de ce qu’elle nomme ironiquement « une immortalité à vie. »


VI

Dans cette revue des principaux personnages de la troupe, nous n’avons jusqu’ici rencontré que des hommes. La règle du nouveau salon est pourtant moins sévère que celle adoptée de longue date dans l’hôtel de Mme Geoffrin, et Mlle de Lespinasse n’exclut pas plus les femmes de ses réunions littéraires que de sa société privée. Nombreuses sont, au contraire, celles qui fréquentent en son logis, jeunes ou vieilles, belles ou laides, sous la seule condition d’avoir un peu d’esprit. Toutefois, à y regarder de près, il faut bien reconnaître que, sauf rares exceptions, — telles que Mme Geoffrin et la maréchale de Luxembourg, — elle ne témoigne pas à la plupart de ses pareilles cette même

  1. Édition Asse.
  2. 19 octobre 1774. Archives du comte de Villeneuve-Guibert.