Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 27.djvu/944

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elle était restée la charmante, la délicieuse femme que nous montrent ses portraits : grande, mince, et d’une élégance de formes tout à fait royale, avec un magnifique front très ouvert sous de fines boucles blondes, le sourire caressant d’une jolie bouche, et deux énormes yeux bruns, lumineux et profonds. « Vertueuse, pieuse, charitable sans ostentation, » personne ne pouvait la voir sans l’aimer. Et cependant elle n’était toujours pas encore mariée. Non certes que les occasions lui eussent manqué de faire un beau parti, puisque nous apprenons qu’elle avait été demandée, notamment, par « les ducs de Hamilton, de Buccleugh et d’Athole, par les comtes de Hopetown, d’Aberdeen, et de Panmure, cum multis aliis ; » mais tantôt c’était elle-même qui avait refusé, tantôt des circonstances s’étaient produites qui avaient rendu impossible l’union projetée. À présent, lady Jean vivait seule, dans une petite maison des environs d’Edimbourg, et très pauvrement : car elle n’avait jamais eu de fortune personnelle, et son frère, avec qui elle n’avait point tardé à se réconcilier après la mort tragique du capitaine Ker, venait décidément de se brouiller avec elle.

Ce frère, lui non plus, ne s’était pas marié. D’une humeur de plus en plus sombre et soupçonneuse, enfermé dans son château sans aucune compagnie que celle de ses domestiques, il avait fini par tomber entièrement sous la domination de l’un d’entre eux, un bas coquin nommé Stockbrigg, qui, peut-être à l’instigation d’autres parens de son maître, avait achevé d’indisposer celui-ci contre sa sœur. Aussi bien le contraste complet des deux caractères du frère et de la sœur s’aggravait-il encore de la différence de leurs opinions : le frère zélé presbytérien, et tout dévoué à la maison de Hanovre, tandis que la sœur, de plus en plus, avait laissé paraître ses sentimens jacobites, et son peu de goût pour la froide rigueur du culte écossais. Si bien que lord Douglas, tout en continuant à la tenir pour « la femme la plus vertueuse qu’il y eût au monde, » — comme il allait le reconnaître lui-même, l’année suivante, — lui avait supprimé désormais toute subvention, l’avait formellement déshéritée, et s’était déclaré résolu à ne plus entendre parler d’elle.

Force lui fut, pourtant, d’en entendre parler, dans les derniers mois de l’année 1746 ; et l’on peut imaginer ce que dut être sa rage lorsqu’il apprit que lady Jean, à quarante-huit ans passés, venait de se marier. Elle avait épousé secrètement, le A août, un vieil officier jacobite, récemment rentré en Écosse après vingt ans d’exil, le colonel John Stewart de Grandtully. Le colonel Stewart était, en vérité, d’excellente maison ; et l’on savait aussi qu’il connaissait lady Jean