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phases de l’enquête conduite, à Paris et à Reims, par ce précurseur du fameux Sherlock Holmes, enquête où il sut intéresser des personnages de tout ordre, depuis l’archevêque de Paris jusqu’à Diderot. Il ne réussit point, naturellement, à découvrir la sage-femme, ni la nourrice, ni le médecin Delamarre, — bien qu’il fût obligé de constater qu’un médecin de ce nom avait vécu à Paris en 1749. Mais il découvrit, en revanche, une foule de gens qui avaient rencontré les Stewart dans leurs voyages, ou pendant leur séjour à Paris, et qui étaient prêts à affirmer que la grossesse de lady Jean n’avait été qu’une supercherie. Il retrouva jusqu’aux personnes qui étaient montées dans les mêmes diligences que lady Jean, et qui se souvenaient de l’avoir vue en excellente santé, quelques jours avant la date du prétendu accouchement. Il fit mieux encore : il mit la main sur deux familles d’artisans de Paris qui lui racontèrent, avec les détails les plus minutieux, dans quelles circonstances elles avaient vendu, chacune, un de leurs enfans, à un étranger qui ressemblait fort au colonel Stewart. L’une de ces familles avait vendu son enfant en juillet, l’autre en novembre : d’où résultait la conclusion que lady Jean n’avait même pas pris la peine de s’approvisionner simultanément de ses deux « jumeaux. »

On peut se figurer l’effet produit, en Ecosse et en Angleterre, par ces révélations, présentées d’ailleurs et mises au point avec une adresse infinie. Elles n’empêchèrent pas, cependant, lady Hamilton de perdre son procès en dernière instance. Le 1er mars 1769, après de longs débats, la Chambre des lords consacra définitivement la légitimité du jeune Archibald, l’énorme appareil de preuves laborieusement construit par Andrew. Stewart ayant échoué devant l’éloquence passionnée de certains lords amis de lady Jean, qui, sans presque daigner discuter les argumens de ses adversaires, s’étaient bornés à rappeler quelle parfaite et admirable femme elle avait été. Mais quand ensuite leur éloquence fut oubliée, et que s’affaiblit le souvenir des vertus de la pauvre femme, l’enquête du détective écossais resta seule pour instruire et guider l’opinion publique ; si bien que celle-ci, malgré le verdict de la Chambre des lords, en vint de plus en plus à admettre que lady Jean, afin de capter la fortune de son frère, avait fait passer pour ses fils deux enfans achetés par elle sur le pavé de Paris. C’est aussi ce qu’ont admis la plupart des historiens anglais, lorsqu’ils ont eu à raconter la « Grande Cause. » Et c’est ce qu’admet aujourd’hui, avec une assurance absolue, M. Percy Fitzgerald, après avoir pris connaissance de tous les documens, publiés ou inédits, qui se rapportent à cette mémorable affaire. Son livre, à la fois tout rempli de faits et