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Les deux puissantes constructions encore debout, le Castel del Monte près d’Andria et celui de Lagopesole, portent, au contraire, dans leur ordonnance, leur appareil, leur armature extérieure à voûtes d’ogives, tous les détails mêmes de leur décor architectural, les marques frappantes de la maîtrise française, alors acceptée par presque toute l’Europe.

On s’est demandé où Frédéric avait surtout pris la connaissance et le goût des qualités solides et franches de l’art septentrional. On peut répondre : Un peu partout. Enfant et adolescent, il avait déjà vu, en Sicile et en Fouille, des ouvrages de Cluny et de Cîteaux. Jeune homme, il avait retrouvé en Allemagne des importations et imitations de l’Ile-de-France. Homme mûr, dans sa courte et malencontreuse croisade de 1228, il put admirer en Terre Sainte et à Chypre, une floraison admirable de cet art transplanté dans les colonies franques. S’il rapporta de Chypre peu de gloire, il en ramena du moins un groupe nombreux de chevaliers qui s’étaient compromis dans sa lutte contre la féodalité locale, et auxquels il distribua des seigneuries ou capitaineries dans sa Terre de Bari. Parmi ces Chyprois, plusieurs étaient ingénieurs ; le plus notoire d’entre eux, Philippe Chinard, d’origine bourguignonne, un gros personnage, conseiller impérial, comte de Conversano, donna les plans d’un avant-poste au château de Trani. Un autre, Emeri Savarin, dirigea les travaux de son château, à Palo del Colle. Est-ce à Chinard ou à Savarin qu’il faut attribuer l’honneur d’avoir élevé Castel di Monte en Lagopesole ? Ce n’est point probable. Leurs travaux sont postérieurs à la construction de ces résidences impériales et relèvent de la science militaire, plus que de l’art civil. Il faut attendre que les archives ou les ruines nous révèlent quelque nom, plus probable, d’architecte professionnel.

En tout cas, entre le retour de Chypre et l’édification de Castel del Monte (vers 1240), l’Empereur fixé à Capoue, en 1233, avait donné des preuves actives de son admiration simultanée pour un autre art que l’art ogival, cet art moderne et vivant ; il s’était révélé comme l’amateur le plus passionné de l’art romain, qu’on eût connu depuis Charlemagne. L’ouvrage de défense qu’il commanda à son architecte calabrais, Niccolò di Circala, en tête du pont sur le Volturne, devait s’ouvrir, entre ses deux tours, par un arc triomphal, semblable à ceux que dressait Rome pour ses Césars victorieux. L’édifice, célèbre durant les XIVe et XVe siècles,