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déployés, par les enseignes guerrières, par les louanges flatteuses des grands corps de l’Etat, par les clameurs de la multitude enivrée, elle s’attendrit devant les souffrances, et elle crée la légende napoléonienne. (Très bien ! très bien !) Vincit qui patitur : savoir souffrir, c’est vaincre. Cessez donc de fabriquer des lois pour punir la pensée, réprimer les opinions, combattre les erreurs : n’entendez-vous pas la voix du temps qui affirme et qui répète que vous ne pouvez rien ? L’erreur n’a d’autre juge, d’autre dominateur que la vérité. Entre l’erreur et la vérité, il y a un combat éternel et les vicissitudes de ce combat, et les défaites et les victoires qui se succèdent, c’est l’histoire même du génie humain. On doit au bien la protection qu’on ne doit pas au mal, mais au mal autant qu’au bien on doit la liberté[1]. Ce n’est que par l’éclat qu’elle répand autour d’elle quand elle se montre que la vérité doit triompher. » (Mouvemens divers et prolongés.)

Je ne concluais pas cependant à la liberté absolue, à la liberté illimitée ; il n’y a rien d’absolu dans le monde. « L’illimité est une chimère et une folie. Oui, sans doute, les limites de la presse existent, très nombreuses et très efficaces ; mais elles ne sont pas dans la répression judiciaire. La limite la plus puissante que trouve la liberté de la presse est dans ce que M. Thiers a appelé avec exactitude l’intégralité des libertés, et ce que j’appellerai, selon une belle expression de M. de Girardin, la pondération des libertés. » Parmi ces libertés, je citai le droit de réunion, les libertés locales, et surtout la liberté parlementaire : « Ces limites à la liberté de la presse étant indiquées, puis-je aller jusqu’à prétendre que la licence disparaîtra, qu’il n’y aura plus de journalistes déréglés et injustes ? Non, certes. Non, ni la pondération des libertés, ni les libertés locales, ni le pouvoir parlementaire, ni les obligations de publicité, rien de tout cela n’empêcherait une partie de la presse d’être licencieuse, de soutenir des thèses condamnables, d’affirmer des faits inexacts, de critiquer avec emportement, d’attaquer sans justice. Mais telle est la condition même de l’existence de la liberté : on ne peut atteindre la licence sans frapper la liberté elle-même. Ceux qui se proposent d’empêcher la licence sans détruire la liberté me rappellent cet enfant qui me demandait un jour s’il ne pourrait

  1. Bien entendu pourvu que l’erreur reste à l’état d’opinion et ne se traduise point par des actes scélérats.