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Ce marché, — unique en son genre, le seul qu’on ait retrouvé dans l’Afrique du Nord, — est non seulement une des curiosités les plus intéressantes mais encore une des ruines les plus, belles de Thimgad. Ainsi que nous l’apprend une inscription, il fut, comme la ville elle-même, bâti tout d’une pièce, vers le commencement du IIIe siècle, grâce aux libéralités d’une matrone et de son époux, Plotius Faustus, chevalier romain.

Il se compose d’abord d’une cour intérieure, entièrement dallée, que bordait un portique continu. Six colonnes sont encore en place sur la façade antérieure. Les chapiteaux corinthiens sont décorés de feuilles d’acanthe non découpées, qui les font ressembler à des troncs de palmiers hérissés d’écaillés. Au milieu, il y avait un bassin carré, dont l’eau servait sans doute à nettoyer le sol et à rafraîchir les herbes. Au fond, se déploie un vaste hémicycle exhaussé d’une marche, précédé d’une colonnade qui supportait des arcatures. Adossés aux colonnes médianes, deux piédestaux soutenaient des statues, — probablement celles du fondateur et de la fondatrice. Dans le mur de l’hémicycle sont pratiquées des logettes qui rappellent les petites boutiques du quartier des Souks, à l’unis. Le marchand y entrait de la même façon, en se glissant sous une large plaque de granit encastrée, comme une table, à l’entrée de l’échoppe. Cet étal grossier est assez semblable à ceux des boucheries et des poissonneries de l’ancien temps, qui se rencontrent encore dans nos villes du Midi.

Je n’essaie pas de me représenter la figuration antique de ce décor : la mêlée, le chatoiement des couleurs, la foule bariolée qui se pressait sous ses galeries. Une seule chose me frappe, c’est le caractère de noblesse et de beauté qui distingue ce simple édifice d’utilité publique. Evoquez devant le marché de Thimgad les plus fastueuses de nos halles modernes, nos gares monumentales, nos palais scolaires, — tout cela paraîtra vulgaire et mesquin par comparaison. Jamais, je pense, on n’a su fondre le beau et l’utile d’une façon plus harmonieuse et plus parfaite. Ici, pas de truquage, pas de trompe-l’œil, pas de fausses élégances économiques ! Tout est vrai, solide, scrupuleux et charmant ! Partout apparaît le souci de flatter la vue, d’amuser l’imagination ! Entre chacune de ces logettes qui abritaient des bouchers et des poissonniers, il y avait, pour soutenir des colonnettes et de hautes arcades, des consoles de marbre blanc, dont les pieds