Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 28.djvu/204

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Trois vaisseaux anglais se trouvaient donc hors de combat. À ce moment, quelques canonnières espagnoles se décidèrent à entrer en ligne, les batteries de terre servies par nos matelots redoublèrent d’énergie, et notre victoire devint complète. Elle l’eût été davantage si les vents, en tournant au N.-O., n’eussent permis aux Anglais de se retirer. Le Pompee parvint à appareiller ; le Cœsar, qui s’était remis à Ilot, rehissa traîtreusement son pavillon ; tous deux rejoignirent les autres vaisseaux moins maltraités, abandonnant le champ de bataille et laissant entre des mains l’Hannibal.

Nous étions nous-mêmes criblés de boulets, et la moitié de nos équipages était hors de combat. J’occupais alors sous la dunette du Desaix une petite chambre qui était littéralement en miettes, et quand on voulut communiquer avec l’amiral, on se trouva hors d’état de le faire, car il ne restait ni un pavillon, ni une drisse pour faire un signal, et pas une embarcation qui ne fût hachée. Je proposai au commandant Christy Pallière de porter à la nage à bord du Formidable les plis qu’il voudrait me confier, mais les requins se montraient en grand nombre dans la baie, attirés par les cadavres, et le commandant n’accepta pas. Il voulut bien me proposer pour une arme d’honneur, et dans des termes tels que cette proposition me valut d’être nommé chevalier de la Légion d’honneur à la fondation de l’Ordre, en février 1804, n’étant qu’aspirant de 1re classe et âgé de dix-neuf ans.

J’ai vu trop souvent les défauts des Anglais pour ne pas rendre ici hommage à un de leurs officiers, lord Cochrane, commandant le brick le Sweady, que le Desaix avait capturé quelques jours auparavant. C’était un officier accompli et un parfait gentleman, avec lequel je me liai grâce à une sympathie réciproque. Il eut le chagrin d’assister à l’échec de ses compatriotes, et nous dûmes le contraindre à rester au poste des blessés et à ne pas demeurer sur le pont, exposé à recevoir la mort de la main de ses compatriotes.

L’état de nos vaisseaux ne permettait guère de reprendre la mer ; heureusement l’amiral Linois put faire connaître notre situation à l’amiral Masseredo, qui commandait l’escadre espagnole de Cadix. Cinq vaisseaux espagnols et un français, le Saint-Antoine, furent détachés pour nous ravitailler et nous escorter jusque dans ce port. L’enthousiasme causé par notre victoire