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conséquences qu’il entraîne ; et quand elles seraient désastreuses, il n’en serait pas moins le progrès.

C’est peut-être ce qu’il faudrait savoir, et pour le savoir, c’est ce qu’il faudrait examiner ! Il se pourrait que beaucoup de prétendus « progrès » n’en fussent point. On s’en apercevra certainement quelque jour. En attendant, ce qui n’est pas douteux, c’est que, depuis tantôt cent cinquante ou deux cents ans, le progrès a créé des formes nouvelles de misère économique, physiologique et morale. Je n’hésite pas à dire que les progrès de la tuberculose et ceux de l’alcoolisme en sont un assez triste exemple. Il y aurait moins d’ « alcooliques, » premièrement, si la chimie avait fait moins de progrès ; et ensuite, si les conditions du travail moderne, moins dures et moins épuisantes, n’obligeaient pas l’ouvrier, par centaines, à demander à l’alcool une excitation sans laquelle la vie lui serait intenable. Mais il y aurait moins de tuberculeux, s’il y avait moins d’alcooliques, et, en second lieu, si le développement de la grande industrie, en amenant à sa suite l’encombrement des centres ouvriers, n’avait pas soumis des milliers de créatures humaines, hommes, femmes, enfans, à des conditions d’habitat très inférieures hygiéniquement à celles d’une bête de luxe, chien de race ou cheval de courses. Je ne vois vraiment pas là de quoi nous entier le cœur de tant de vanité.

Il ne faut donc pas croire qu’à lui tout seul, ce mot de « progrès » réponde à tout, et qu’il suffise de l’invoquer, pour que nous n’ayons plus, nous, qu’à fermer la bouche. Mais j’ajoute, — et je viens d’essayer de le montrer, — que c’est un problème que de savoir si la réalisation de l’idéal du pacifisme serait véritablement un progrès, et je vois bien les dangers que nous courons en y travaillant, mais ce que je vois moins bien, ce sont les avantages qui en résulteraient, ou plutôt, si ! je les vois, ces avantages, mais ils sont depuis longtemps connus. L’humanité n’a pas attendu que le baron d’Estournelles fût né pour s’aviser, comme on dit au Palais, qu’» un médiocre arrangement valait mieux que le meilleur procès, « et que, si la guerre était considérée comme la ressource suprême, ultima ratio regum, cela voulait dire qu’on ne devait y recourir qu’à la dernière extrémité. La seule nouveauté du pacifisme n’est donc, à vrai dire, que d’essayer de persuader aux hommes qu’il n’y aurait jamais de « dernière extrémité ; » qu’entre peuples honnêtes,