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farouche dans lequel se complaisait le Thibet et désireux d’être renseigné sur ce pays et ses ressources, imagina d’utiliser, à défaut d’Européens, le concours d’Asiatiques qui pourraient lui faire connaître, avec la géographie du pays, tout ce qui se passait à Lhassa, l’état d’esprit de la population et les compétitions qui s’agitaient autour du gouvernement. En effet, s’il était relativement aisé aux autorités thibétaines de dépister les Européens et de les empêcher de visiter Lhassa, il leur était impossible d’interdire l’accès de cette ville aux Népalais, aux Boutaniens, aux sujets du roi d’Angleterre qui habitent le Moyen Thibet annexé au Cachemire et qui sont, comme les populations du Grand Thibet, de race thibétaine ; elles ne pouvaient non plus empêcher ceux des bouddhistes hindous de se rendre à Lhassa en pèlerinage ; on compte, en outre, à Lhassa, établis à demeure, un nombre considérable de musulmans, Afghans et Cachemiriens, plus ou moins placés sous l’influence de l’Angleterre. Tous ces gens vont et viennent entre le Thibet et les pays voisins ; la plupart conservent des relations commerciales ou des relations de famille dans le pays dont ils sont originaires et il est facile d’utiliser leur concours. C’est au colonel Montgomery, alors directeur du service géographique des Indes, qu’est due l’organisation ingénieuse qui a permis de tirer profit de ces élémens divers au mieux des intérêts du gouvernement de l’Inde. Il choisit parmi les indigènes ceux qui lui parurent les plus intelligens et les plus instruits, ceux qu’on nomme des pandits (savans) et les fit entrer à l’école Buthia, à Darjeeling. Là, on leur apprit à lever des itinéraires à la boussole, à faire des observations pour la détermination des coordonnées astronomiques ; puis, on les fit partir pour le Thibet, munis d’instrumens topographiques ingénieusement dissimulés : c’est ainsi que leurs moulins à prières cachaient des baromètres et des boussoles. Pour éviter les soupçons, ces explorateurs indigènes furent désignés par des numéros d’ordre ou des initiales. L’un d’eux, A. K., au cours de l’année (1878-1879) qu’il passa à Lhassa, réussit à mesurer avec son rosaire bouddhique les principales rues de la ville. Lors de son premier voyage, un autre pandit, Naïn-singh, y resta trois mois. Sarat Chandra Das y passe deux semaines dans l’hiver de 1881-1882. De 1865 à 1894, une vingtaine d’expéditions de ce genre ont été dirigées au cœur du Thibet et elles n’ont pas cessé depuis.

D’ailleurs, les pandits anglo-hindous n’ont pas été les seuls