Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 28.djvu/325

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


IV
Le pays thibétain.


Cet isolement farouche dans lequel les Thibétains ont réussi à maintenir leur pays au cours du dernier siècle leur a été grandement facilité par la nature et la configuration du sol, qui font de leur pays une des contrées les moins accessibles du globe. Le Thibet est la plus grande et la plus haute extumescence de toute la terre. C’est un immense plateau atteignant une altitude moyenne de cinq mille et, dans ses parties élevées, de sept et huit mille mètres. Aucune contrée au monde ne présente une altitude moyenne sur une surface aussi vaste. C’est le « Toit du monde, » les « Degrés du ciel, » le « séjour des Dieux » : ainsi l’appellent les habitans vivant au pied du gigantesque piédestal. Le relief de cette protubérance massive est d’autant plus accusé qu’elle se dresse au nord à côté de l’une des cavités les plus profondes de l’intérieur des continens, la dépression du bassin du Tarim, et au midi au-dessus des basses terres de la vallée du Gange, et qu’elle tombe de tous côtés sur le bas pays par des talus d’extrême raideur. Flanqué au nord par la chaîne du Kouen-loun, au midi par l’Himalaya, adossé à l’ouest aux monts du Pamir et du Korakorum, à l’est aux Alpes du Se-Tchouen, enveloppé de tous les côtés par les crêtes maîtresses du continent d’Asie, le plateau thibétain est une des régions naturelles les mieux délimitées des Deux Mondes.

C’est aussi une des plus inaccessibles. Incroyablement ardus et malaisés sont les chemins par lesquels on y monte. Que l’on prenne l’une quelconque des quatre voies maîtresses qui mènent au cœur du Thibet, les difficultés d’ascension sont prodigieuses. Quand on vient des fonds du Turkestan oriental, situés seulement à 700 mètres en moyenne au-dessus des mers, un revers de plus de 7 000 mètres se dresse devant le voyageur, et les passes de ces chaînes, deux fois plus hautes que les Pyrénées, ont deux fois l’élévation des cols les plus élevés de la chaîne hispano-française. Quand on vient de l’Inde, l’Himalaya ne se laisse pas non plus aisément franchir, et tel de ces cols, celui de Donkaia, s’ouvre à peu près à l’altitude de l’Elbrouz, tête du Caucase. Quand on vient de la Chine, les Alpes du Se-Tchouen, qu’on a devant soi, forment un grand ensemble