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de Saint-Malo qui avaient armé en course de petits navires, avec lesquels ils faisaient une guerre incessante aux établissemens anglais du golfe du Mexique, dévastant les côtes et s’emparant des navires de commerce. Leurs récits avaient séduit mon pauvre frère, qui avait d’ailleurs toutes les dispositions pour ce genre de vie. Nous nous quittâmes tristement, et je ne l’ai jamais revu. Dans une de ses expéditions aventureuses, le navire qu’il commandait fut capturé par les Anglais ; il profita d’un manque de surveillance, dans un des jours qui suivirent, pour saisir corps à corps le capitaine anglais qui commandait l’équipage de prise, et pour le jeter à la mer, puis il reprit son propre navire, et se dirigea sur la Martinique avec des mâts de fortune et les débris de son équipage. Dans ces conditions si peu favorables, il rencontra des corsaires hollandais qui allaient attaquer l’île de la Tortue, au nord de Saint-Domingue, et qui lui proposèrent de se joindre à eux. Mon frère accepta leur offre, et périt dans cette expédition, victime de son audace et de sa témérité. La présomption était presque son seul défaut. Je n’ai jamais rencontré de nature plus loyale et plus sympathique, de cœur plus chaud et plus désintéressé. L’amour de la guerre était devenu pour lui une passion comme pour d’autres celle de la chasse, et il devait tôt ou tard y trouver la mort.

Pendant notre séjour aux Antilles, nous reprîmes le rocher du Diamant qui ferme l’entrée de la rade de Fort-Royal, et nous fîmes quelques démonstrations contre les îles du Vent : nous attendions l’escadre de Rochefort, qui devait venir nous renforcer. Comme elle n’arrivait pas, nous fîmes route pour retourner en Europe. C’était un assez mauvais parti, car il était regrettable que le temps perdu aux Antilles ne nous procurât pas l’avantage de ce renfort, dont la rencontre à travers l’Océan était plus que douteuse. Malgré tant d’hésitations et de retards, nous avions encore l’avance sur Nelson, et, faisant route sur l’entrée de la Manche, nous pouvions espérer que l’amiral Villeneuve se déciderait à y entrer et à réaliser coûte que coûte le programme que lui avait tracé l’Empereur. Mais il eut connaissance d’une escadre anglaise croisant à l’entrée de la Manche, et au lieu d’aller résolument la combattre, il mit le cap sur le Ferrol, ce qui n’avait plus aucun sens .

Il m’arriva pendant cette traversée de sauver la vie à un homme dans des circonstances assez périlleuses, et cet incident