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M. Briand a triomphé en affirmant que tout le monde pouvait s’y rallier, les radicaux parce qu’elle était la séparation sincère et les modérés parce qu’elle était la séparation libérale. Il serait plus juste de dire qu’elle est une transaction adroite entre des principes contraires. Les transactions de ce genre ne sont pas toujours condamnables : beaucoup d’œuvres politiques ont duré précisément parce qu’elles avaient ce caractère, et que, si elles ne plaisaient, elles ne déplaisaient non plus à personne d’une manière absolue. C’est le but que M. Briand a voulu atteindre : l’expérience montrera s’il y a réussi.

Quant à nous qui sommes partisans du Concordat, parce qu’il est à nos yeux la solution vraiment française de la question des rapports de l’Église et de l’État, la plus conforme à nos traditions, à nos mœurs, à nos besoins, nous restons très préoccupés et effrayés de ce que sera dans la pratique la loi que la Chambre vient de voter. Il semble bien que M. Briand éprouve lui-même quelques appréhensions à cet égard. On est surpris de retrouver dans son dernier discours la même affirmation que dans le premier, à savoir que l’origine de la loi était dans la politique du Vatican et que la responsabilité en appartenait au Pape. Mensonge historique, a dit M. Ribot. C’est le gouvernement français qui a voulu la séparation et qui y a poussé de toutes ses forces : dès lors, il y aurait eu, de la part de ceux qui l’ont encouragé dans cette voie, plus de loyauté et de dignité à prendre eux-mêmes, et très hautement, la responsabilité de la réforme. Ses adversaires mêmes pourraient trouver une certaine grandeur à cette réforme si, au lieu de la présenter comme une mesquine mesure de représailles, ses partisans la rattachaient à des principes vrais ou faux, mais élevés. Pourquoi ne l’a-t-on pas fait ? Pourquoi M. Briand s’est-il obstiné à mettre en cause le Vatican et à l’accuser, sur un ton acrimonieux, d’avoir rendu le divorce inévitable ? Aurait-il tenu ce langage s’il avait été vraiment sûr que la séparation était bonne en soi, que le pays l’acceptait, la désirait, l’attendait ? Il a paru plaider pour elle les circonstances atténuantes et se donner des excuses à lui-même, comme s’il voulait rejeter sur d’autres l’impopularité éventuelle, possible, probable, que rencontrera la mesure lorsqu’elle sera appliquée.

On répondra peut-être que si les auteurs de la loi en avaient une opinion aussi peu favorable, ils n’auraient nul empressement à la voir appliquer : or ils exercent dès maintenant une forte pression sur le Sénat pour qu’il se mette sans aucun retard à la besogne, et qu’il se la rende à lui-même plus aisée en votant la loi telle que la Chambre la lui envoie. C’est là une comédie dont le secret est facile à deviner :