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couronner cette remarquable série de travaux par une importante publication qui, souvent souhaitée des admirateurs et amis de Pascal, amorcée même, il y a une douzaine d’années, par M. Clédat, n’avait encore pu être menée à bonne fin. Il s’agissait de reproduire en phototypie le manuscrit original des Pensées et d’en multiplier ainsi à volonté les exemplaires. La maison Hachette, qui, depuis qu’elle existe, à tant fait pour les Lettres françaises, a repris et lancé l’idée, ouvert une souscription et réussi à intéresser à l’entreprise un nombre suffisant de pascalisans et d’amateurs. Ce beau travail, dont la direction a été confiée à M. Brunschvicg, vient de paraître ; et l’exécution en est si parfaite que nous pouvons désormais nous donner l’illusion d’avoir sous les yeux le célèbre manuscrit 9202 de la Bibliothèque nationale. D’un côté, on a reproduit, en une suite de planches d’un admirable relief, les pages successives de l’original autographe[1] ; et, en regard, avec l’indication des variantes et des ratures, avec des renvois aussi aux principales éditions antérieures, un texte imprimé qui nous offre comme la traduction lisible des fragmens, souvent malaisément déchiffrables, dont la photographie nous a rendu la vision. Et sans doute, l’on ne saurait prétendre que cette publication nous révèle un Pascal tout à fait nouveau, ni qu’elle dispense de recourir aux bonnes éditions des Pensées : elle n’annule même pas l’édition Michaut, « dont les services, dit très bien M. Brunschvicg, ne sont pas épuisés. » Mais, outre qu’elle permet à chacun de nous, suivant le mot de M. Brunschvicg encore, « d’améliorer sa connaissance du texte et de le porter à son plus haut point de vérité[2], » il semble que l’intérêt qu’elle nous" présente ne soit vraiment pas un intérêt de pure curiosité. Oui, il semble que quelque chose de la grande âme tragique et frémissante de Pascal ait passé et soit demeuré littéralement incrusté dans ces

  1. Un seul fragment a dû être laissé de côté, en raison de l’état du manuscrit, le fragment 79 de l’édition Brunschvicg. On y a joint en appendice, à titre de pièces de comparaison, — car on sait que le manuscrit original n’est pas tout entier de l’écriture de Pascal, — les reproductions photographiques d’une lettre de Pascal à Huygens, datée du 6 janvier 1659, d’une lettre de Mme Périer au médecin Vallant, et deux folios de la Copie donnée par Marguerite Périer au P. Guerrier.
  2. Par exemple, voici, dans le Mystère de Jésus, un petit détail de rédaction dont les précédens éditeurs de Pascal ne paraissent pas s’être avisés, et qui peut avoir son intérêt : « Je te suis présent par ma parole dans l’Écriture. » Pascal avait d’abord écrit : « dans la Bible. » Puis il a effacé le mot Bible, et il a écrit tout à côté : l’Écriture.