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Voici tout d’abord un savant, — un savant dont la précocité intellectuelle n’a pas été sans analogie avec celle de Pascal, — qui a écrit tout un livre pour « s’incliner profondément devant la gloire » du grand écrivain[1]. Le livre est assez déconcertant On s’attendait à ce qu’un homme qualifié comme l’était Joseph Bertrand répondît enfin à la question posée ici même, il y a vingt ans, par M. Brunetière : « A quel rang ses inventions placent-elles Pascal dans l’histoire de la science ? Quelle portée d’esprit scientifique, quelle puissance de réflexion, quelle capacité d’invention devons-nous reconnaître en lui ? » Or, de toutes les questions que peut soulever l’étude de Pascal, celle-ci est presque la seule que Joseph Bertrand ait à peu près négligé de discuter. Ce grand savant était ainsi. Il aimait trop la littérature. Il mettait une sorte de coquetterie, — son D’Alembert en était déjà une preuve, — à parler de tout autre chose que de son métier. Il avait trop pris à la lettre le mot de Pascal : « Il faut qu’on n’en puisse dire, ni : Il est mathématicien, mais il est honnête homme… » Et l’« honnête homme » en lui nous privait délibérément des informations que nous demandions au « mathématicien. » Comme d’ailleurs le simple lettré dans Joseph Bertrand ne valait pas le savant, personne depuis Montesquieu peut-être n’ayant écrit d’une manière plus dispersée, plus décousue et plus successive, il suit de tout cela que cet hommage au génie de Pascal n’a pas toute la signification qu’il aurait pu avoir et que nous étions en droit d’attendre. Non sans doute que tout soit non avenu dans ce livre. Il y a çà et là, et même en matière scientifique, plus d’une observation ingénieuse, plus d’une formule heureuse à glaner ; et il est aussi assez piquant et très instructif de voir ce géomètre prendre contre Pascal la défense de la casuistique et des casuistes. Mais enfin, il faut bien avouer que, si nous ne connaissions Pascal que par ce volume, nous nous en ferions une idée fort incomplète.

Avec M. Sully Prudhomme[2], c’est un poète, mais un poète philosophe qui s’attaque à Pascal. M. Sully Prudhomme, en effet, n’est pas seulement le poète des Solitudes et des Vaines tendresses ; il est aussi l’auteur d’une étude sur le Problème des

  1. Blaise Pascal, par Joseph Bertrand, 1 vol. in-8o, Paris, C. Lévy, 1891.
  2. La vraie Religion selon Pascal : Recherche de l’ordonnance purement logique de ses Pensées relatives à la religion, suivie d’une analyse du Discours sur les Passions de l’amour, par Sully Prudhomme. Un vol. in-8o, Paris, Alcan, 1905.