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quel prestigieux écrivain que celui qui sait en prolonger en nous le contagieux frémissement !

Il y a un trait par où le style de Pascal intéresse plus particulièrement peut-être notre sensibilité contemporaine. Nous n’avons pas impunément traversé le romantisme et le naturalisme. Au contact des œuvres sorties de ces deux écoles, nous avons contracté une invincible horreur du style abstrait. Nous voulons que les écrivains s’adressent à notre imagination en même temps qu’à notre raison ; nous exigeons d’eux qu’ils mettent sous nos yeux les choses mêmes dont ils parlent ; et plus les images qu’ils nous en fourniront seront nettes, vives et familières, plus nous leur saurons gré de correspondre ainsi à nos goûts et à nos désirs. Et cela est si vrai que, parmi les grands écrivains du passé, nos préférences vont précisément à ceux qui, d’instinct, ont réalisé notre idéal d’aujourd’hui : elles vont à Saint-Simon et à La Fontaine, à Molière et à Bossuet ; elles vont surtout à Pascal. Celui-ci l’avait bien prévu ! « La manière d’écrire d’Epictète, de Montaigne et de Salomon de Tultie [à savoir Pascal lui-même] est la plus d’usage, qui s’insinue le mieux, qui demeure plus dans la mémoire, et qui se fait le plus citer, parce qu’elle est toute composée de pensées nées sur les entretiens ordinaires de la vie. » C’est cela même. Rien d’artificiel et de convenu dans ce style ; rien d’académique et de compassé ; tout y est concret, et tout y est vivant. La brusque familiarité des tours, la hardiesse saisissante et l’éclat des images, le réalisme même de l’expression, tout cela nous attire et nous ravit, et nous pardonnons à Port-Royal d’avoir cru devoir orner un peu cette simplicité et parer cette négligence, puisque les scrupules mêmes des pieux solitaires ont permis aux éditeurs modernes de retrouver et de nous rendre sinon un nouveau Pascal, du moins un Pascal plus vivant encore, plus naturel et plus intime, et dont la langue même fût en conformité plus étroite encore avec celle que nous parlons.

La conformité n’est pas moins étroite, elle est plus significative encore entre les idées de Pascal et les nôtres. Si grand cas que nous fassions du style, nous en faisons un plus grand encore de la pensée ; et nous admirerions moins Pascal s’il n’était pas, selon le mot d’un de ses interprètes, M. Brunschvicg, « un penseur tel que les temps modernes n’en ont pas eu de plus profond. » Qu’on ouvre au hasard le recueil des Pensées. On y