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plus éprise de vérité et de franchise que d’habileté, moins soucieuse de réfuter des abstractions que de conquérir des âmes. De là enfin ce je ne sais quoi de vécu, de concret, de positif, qui répond d’une manière si complète aux exigences de notre réalisme. Par-delà les livres et les sophismes à discuter, Pascal a vu des hommes à réduire ; et il a jeté sur ses contemporains un regard si aigu et si perçant que, par-delà les hommes de son temps, il a atteint ceux du nôtre.

Pascal a bénéficié enfin du mouvement tournant que nous voyons se produire dans l’apologétique contemporaine. Pour mieux répondre aux préoccupations croissantes de la pensée laïque, l’apologétique, — des discussions récentes ont mis ce fait très nettement en lumière, — l’apologétique, en ces dernières années, a renouvelé ses procédés et rajeuni ses méthodes. Elle a pris résolument contact avec la philosophie moderne, et elle a constaté qu’en bien des cas cette philosophie, dont on avait tant médit sans toujours la bien connaître, avait travaillé non pas contre elle, mais pour elle. Elle a donc emprunté à cette alliée involontaire un peu de son esprit et quelques-unes de ses conclusions. À cette école, elle a appris à laisser tomber certains argumens vieillis qui n’ont peut-être jamais bien porté, mais qui, assurément, ne portaient plus ; elle s’est pénétrée d’une dialectique plus souple, plus vivante, moins abstraite, plus conforme au mouvement même de la pensée d’aujourd’hui ; enfin, et surtout, elle s’est rendu compte de l’absolue nécessité pour elle de donner pour fondement à toutes ses démarches ultérieures une solide et précise enquête psychologique. Que Pascal n’ait pas été étranger à cette orientation nouvelle de l’apologétique, c’est ce qui ressort d’une simple constatation de fait : tous les apologistes contemporains qu’on lit, et qui agissent, et qui sont pris en considération par leurs adversaires, qui même parfois arrachent à ces derniers de précieux aveux, sont visiblement nourris de l’auteur des Pensées, se plaisent à le citer et à se recommander de lui. Mais quand Pascal n’aurait eu aucune espèce d’influence directe sur eux, ils ne pouvaient manquer, un jour ou l’autre, de se reconnaître pour ainsi dire en lui. L’attitude intellectuelle et morale que nous venons de définir, c’est, en effet, exactement celle que Pascal avait prise dans l’Apologie dont nous n’avons que des fragmens. « L’idée mère de cette Apologie, a très bien dit Vinet, c’est de partir de l’homme pour arriver à