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des valeurs « à turban, » — lisez ottomanes, — communiquent avec les habitués grâce à une pantomime conventionnelle, au milieu d’un vacarme qui fait substituer les signes à la voix. Sept « coteurs » officiels, employés de la Chambre syndicale, sont installés à de petits pupitres et dressent, comme des météorologistes, la courbe de variations des cours. Au dehors, la bousculade recommence dans le couloir des téléphones, et, tandis qu’on lutte autour des cabines, la salle du télégraphe demeure presque vide ; quelques personnes y viennent lire leurs journaux ou faire leur correspondance. Trop lent désormais, ce mode de communication est délaissé.

Vue de plus haut, de plus loin, sous la perspective économique ou sociale, la Bourse est le lieu de rendez-vous des capitaux et des entreprises. Elle ne crée ni les premiers, ni les secondes, mais elle les accointe et les adapte les uns aux autres. Par cette machine à placement, l’argent se transforme perpétuellement en affaires, les affaires se transforment perpétuellement en argent. L’argent en quête d’emploi et les affaires en quête de fonds viennent ici de tous les points de la planète ; des parcelles d’économie s’amalgament pour fournir à des besoins gigantesques ; des prolétaires y deviennent créanciers de souverains et employeurs d’ouvriers et les riches, avec leur lingot fractionné, se procurent des morceaux de vingt propriétés différentes.

Tout cela d’ailleurs est inapparent. Bien que le grand public collabore de plus en plus au mouvement des Capitaux en bourse, la Bourse est de plus en plus abandonnée aux professionnels. Ce double fait, contradictoire, s’explique : les cours des valeurs sont maintenant gouvernés par des millions d’hommes qui ne viennent jamais à la Bourse : ce n’est donc plus de la Bourse que l’on peut provoquer ou diriger les mouvemens. Le XIXe siècle a vu naître et grandir la fortune mobilière. Le XXe siècle voit se transformer les spéculations dont elle est l’objet.

La période embryonnaire, de 1815 à 1850, appartient à la haute banque d’ancien type, issue en majorité de la Suisse protestante ; gens de grande prudence qui trouvèrent dans les prêts aux gouvernemens l’occasion de s’enrichir. Bien que les emprunts d’Etat ou les conversions de dettes fussent rares, et portassent sur des sommes que nous jugerions minimes aujourd’hui, la part faite aux banquiers était si large qu’ils réalisaient encore de copieux bénéfices.