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aucun préjugé confessionnel et de laisser à « César » ce qui lui appartient. Car si l’argent, quoi qu’en dise le proverbe, a parfois une odeur, il n’a ni parti, ni religion.

Le Crédit Lyonnais avait jusqu’alors, comme les autres banques, engagé ses capitaux en de multiples affaires et, comme les autres, y avait essuyé des revers. Non pas tous définitifs, à dire vrai : les neuf millions que lui devait la Turquie, passés par lui à « profits et pertes » pour un franc en 1876, lui revinrent dans la suite avec de très beaux intérêts. Vingt ans plus tard, après la déroute du Panama, dont les émissions successives lui avaient procuré de fructueuses commissions de guichet, le Crédit Lyonnais, pour empêcher la déchéance de l’entreprise, consentit, sur la demande instante du syndic, à faire une partie des fonds de la Société nouvelle. Les 14 millions ainsi aventurés ont réintégré sa caisse en 1904, par suite de la vente du canal aux Américains. Mais, aux bilans qui suivirent le krack de 1882, les réserves du Lyonnais se trouvèrent diminuées de 40 millions.

Ce rude coup, loin d’abattre M. Germain, le lança dans une voie aussi féconde pour la prospérité nationale que pour l’établissement qu’il dirigeait. Éclairé sur ce vice auquel nul encore ne prenait garde : l’incompatibilité d’un passif, prompt à sortir, avec un actif, lent à rentrer, il s’interdit de balancer des dépôts, exigibles en une heure, par des valeurs recouvrables en un an, ou davantage. La nécessité d’avoir des fonds, à la fois laborieux et liquides, engendra la chasse aux effets de commerce ; d’où l’abaissement de l’escompte et le bon marché du crédit pour le public. En même temps obligation de faire beaucoup d’affaires, parce que chacune rapporte peu ; d’où recherche de l’argent épars et inactif qui, aggloméré, constitue un lingot formidable, d’autant plus puissant qu’il appartient à une armée de petits rentiers.

Une banque privée, possédant en propre un milliard de capital, mais n’ayant que trois cents cliens, placera parmi eux pour 40 millions de valeurs, pendant qu’une Société de crédit, quatre fois moins riche, mais en relations avec 300 000 cliens, placera dix ou vingt fois plus. Seulement ses bureaux, au lieu d’occuper un espace de 500 mètres carrés et quelques dizaines de commis, se déploient sur 25 000 mètres de terrain, tant au siège social que dans ses agences, et 3 000 personnes composent son effectif.