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duquel on les convie à verser pour la première fois un sang si peu généreux.

La moitié n’hésite pas et, au lieu de se présenter au maire, gagne la macchia. Ces réfractaires se font bandits, estimant que, se battre pour se battre, mieux vaut le faire chez soi et contre l’oppresseur. L’autre moitié va, la mort dans l’âme, au conseil de révision, évoquant d’étranges maladies : les montagnards sont « scorbutiques et étiques, » les gens du pays plat « hydropiques et obstrués, » les Romains sont « poitrinaires, » et les provinciaux « teigneux et hernieux ; » le capitaine de gendarmerie qui nous livre cette effrayante nomenclature en reste terrifié.

On en trouvera cependant assez pour fournir le contingent, — faible d’ailleurs, en 1810, — exigé par l’Empereur. Ils seront expédiés à Rome ou à Pérouse, et de là à Lyon, Lille, Hambourg, villes du Nord, froides, humides : ils ont échangé contre un lourd uniforme, qu’on leur dit glorieux, leurs vêtemens grossiers et légers ; ils ont l’honneur d’être les soldats de Napoléon le Grand : demain, ce sera Moscou, la Bérésina.

A Rome se jouera annuellement une lamentable comédie. Tous les ans, au mois de juin, le Journal du Capitule insère un article dithyrambique ; les sous-préfets sont stupéfaits eux-mêmes du zèle de ces jeunes gens : il y a des volontaires ; la classe entière va marcher, etc. Les rapports secrets des agens impériaux sont moins optimistes : il a fallu envoyer des garnisaires dans les chaumières ; les réfractaires, plus du tiers, ont gagné la montagne : il a fallu encaserner les autres incontinent : car, enrôlés, mais laissés libres, ils auraient lâché pied : on conduit à travers l’Italie ces vaillans entre des gendarmes, et encore 62 sur 150, et, une autre fois, 120 sur 300 trouvent-ils moyen de se mutiner et de se disperser avant d’avoir atteint les Alpes. Et ce mot que le directeur de la police Olivetti inscrit à la fin d’une de ses notes, on le trouve dans cent rapports entre 1810 et 1814 : « Ces gens ont unanimement horreur de la conscription. »

Cependant le préfet assemble les conscrits, leur parle de leurs pères qui conquirent le monde, n’oublie personne, depuis Mucius Scevola jusqu’à Jules César. Qu’est-ce cependant que la gloire de César à côté de celle de Napoléon ! Alors se produit un grand tumulte : « Non vogliamo andare alla guerra ! Nous ne voulons pas aller à la guerre ! » crient, en pleurant, ces Sabins, Albains, Eques, Volsques dégénérés. Tournon imperturbable continue :