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de Rome ; la situation du gouvernement de Miollis devenait ainsi fort critique. Au moment où la fièvre se déclarait dans tous les membres de ce corps déjà attaqué, les Anglais débarquèrent à Anzio, y firent des prisonniers, détruisirent les travaux de défense, insultèrent le drapeau et dès lors ne cessèrent pas un instant d’opérer, le long du littoral, de hardies descentes, qui entretenaient la plus préjudiciable agitation.


En face de ces périls, les hauts fonctionnaires de Rome, poignée de Français perdue au milieu d’un peuple hostile et qu’ils savaient féroce aux heures de crise, gardaient un admirable sang-froid. Ils étaient tous, avec des tempéramens fort divers, Miollis, Tournon, Daru, Norvins, gens de devoir, résolus à tenir bon jusqu’au bout.

Si ce sang-froid étonne, la gaîté de la société franco-romaine, en ces heures d’angoisse, ne surprend pas moins.

Il ne nous appartient pas de tracer ici le tableau de ce qu’avait été durant ces quatre années la vie mondaine de Rome : ce tableau sera fait ailleurs. Contentons-nous de dire que la présence de nos officiers avait singulièrement surexcité le goût du plaisir qui, dès la première occupation de Rome en 1798, avait attaché jusqu’à la passion Thiébault et ses camarades à cette ville aux multiples attraits. A lire la correspondance du baron de Tournon, on juge avec quelle ardeur nos fonctionnaires, presque tous jeunes, entreprirent sur le terrain mondain la conquête de Rome. Fêtes offertes par le galant général de Miollis, réceptions du brillant baron de Tournon et de son aimable femme, soirées de gala au Quirinal et au Capitole, soirées plus intimes chez quelques patriciens ralliés, c’est en pénétrant partout qu’on verrait sous un autre jour cette domination de la France à Rome qui, envisagée, ainsi que nous le faisons ici, au seul point de vue politique, donne une note continûment grave. Dans les bals masqués offerts par le général de Miollis, on verrait, en arlequins. brigands calabrais, mousquetaires, seigneurs vénitiens, les officiers de Napoléon entraîner en des danses fougueuses ces patriciennes qui comptent chacune un pape ou deux parmi leurs grands-oncles, bayadères, Colombines, Albanaises, dames du XVIe siècle, et qui, malgré le loup, se reconnaissent aux diamans célèbres qui couvrent leurs épaules : la duchesse Braschi, nièce de Pie VI, en Vénus, la princesse Buoncompagni en Junon, nièce