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carènes de navires. Telle lampe indigente n’offre guère que des ornemens géométriques, qu’on dirait marqués d’un coup d’ongle. Mais d’autres, plus opulentes, sont décorées de toute espèce de figures : des animaux, des feuillages et des fruits ; ou bien ce sont des scènes familières, des épisodes mythologiques, des effigies de divinités : gladiateurs combattant, groupe d’Eros et de Psyché, ménades agitant des thyrses. Les lampes chrétiennes, plus sévères, ne représentent, en général, que le monogramme du Christ, encadré d’un rinceau très simple…

Devant ces jolies lampes, travaillées comme des boîtes d’ivoire, puériles comme des joujoux, et qui devaient fournir tout au plus une languette de flamme jaune, une lumière chétive et fumeuse, nulle pensée lugubre ne peut naître. On songe seulement qu’elles accompagnaient les réunions de famille, sur la tombe du mort. On apportait des plats et des coupes, du vin et des gâteaux. On étendait des tapis sur les dalles, et, tout en mangeant et en buvant, on s’entretenait de ceux qui reposaient là : « O bonne mère, — dit une inscription de Satafis, — nourrice qui nous as donné ton lait, qui fus chaste et sobre toujours, nous parlons de toi, et, tandis que les heures s’écoulent à rappeler tes vertus, — pauvre vieille ! tu dors à côté de nous !… »

Ce culte candide avait toute la grâce mignarde des petits jeux de l’enfance, il était affectueux et tendre, comme les effusions et les caresses d’amour filial ou paternel. Et pourtant, la grande idée païenne de la vie impérissable transparaît encore à travers les pratiques naïves et populaires de cette religion des morts. Ce feu des lampes inextinguibles, brûlant dans des niches noircies, autour de la stèle ou du sarcophage, — ce feu symbolisait l’éternelle durée des formes vivantes victorieuses du chaos et des vicissitudes de la matière. C’était déjà l’audacieux défi jeté par le chrétien à la rapacité de la mort : lux perpetua luceat eis !

Pour moi, en regardant ces lampes éteintes, je ne puis songer sans émotion à la pensée pieuse et touchante qui, autrefois, leur dispensait l’huile et la lumière. Je vois toujours, dans les ténèbres tièdes des hypogées, le tremblement des petites flammes grésillantes, ce buisson de ferventes lueurs, cette espèce de Chandeleur souterraine qui, devant le cadavre desséché ou réduit en poussière, célébrait la gloire de la vie immortelle !…