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son, — il a avoué depuis qu’il s’était un peu « emballé, » — a déclaré que puisqu’il en était ainsi, que les passions étaient restées si violentes et que « son ami » le général André en subissait les atteintes, il voterait lui-même contre l’amnistie. Il était entré en séance avec l’intention de voter pour, mais le discours de M. Lasies l’avait convaincu que l’heure de l’oubli n’était pas encore venue. M. Brisson était parfaitement libre de changer d’avis ; mais nous n’en dirons pas autant de M. le ministre de la Guerre. Il n’avait pas le droit de se laisser entraîner par une impression de séance jusqu’à s’écrier comme il l’a fait : « J’ai mis ma signature au projet de loi ; je la retire ! » C’était fausser compagnie à ses collègues du cabinet qui avaient signé le projet d’amnistie avec lui, et à M. le Président de la République, qui ne l’avait signé lui-même que parce que tous les ministres compétens l’avaient fait les premiers. Un pareil acte, tout nouveau dans nos annales parlementaires, est très incorrect à coup sûr : il témoigne de la part de M. Berteaux d’un regrettable manque de sang-froid. Il fut un temps où un ministre qui aurait commis une pareille incartade se serait regardé comme démissionnaire ; mais, aujourd’hui, chacun « s’emballe, » à droite, à gauche, suivant le hasard du moment, sans que cela tire à conséquence. Est-ce ainsi qu’on fait ou qu’on refait un gouvernement ? M. Berteaux est sorti tragiquement de la salle des séances avec son portefeuille sous le bras. On a cru qu’il partait pour ne plus revenir, comme on l’avait déjà vu faire à d’autres ministres de la Guerre. Mais il allait simplement prendre l’air. Ces incidens avaient secoué la Chambre au point qu’elle avait besoin d’un peu de repos pour reprendre ses esprits, s’il se pouvait. Au surplus, M. le président du Conseil était absent : il était allé au Sénat assister au vote des quatre contributions directes. Sa présence à la Chambre était devenue nécessaire. La séance a été suspendue.

Mais l’agitation ne s’est pas calmée ; elle s’est seulement déplacée ; elle s’est répandue de la salle des séances dans les couloirs avec un surcroît d’animation, et, quand M. Rouvier est enfin arrivé au Palais-Bourbon, il n’a pas tardé à s’apercevoir que le succès de l’amnistie était compromis. Des députés du centre annonçaient très haut qu’ils ne voteraient pas une mesure qui s’étendait aux délateurs. La droite elle aussi était divisée et, parmi ses membres, les uns étaient disposés à voter l’amnistie et les autres à la repousser, suivant qu’ils tenaient plus à la rentrée en France de M. Paul Déroulède qu’à la flétrissure à maintenir contre les délateurs, ou inversement. Le désordre était partout M. Rouvier a fait alors ce qu’il devait faire : il est monté à la tribune