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IX

La mise en liberté de M. Sencier et celle de M. Chevreuse devaient dès le lendemain nous être reprochées comme des actes de forfaiture. L’opinion était particulièrement excitée contre l’ancien préfet, à cause de la découverte de mandats d’amener rédigés contre un grand nombre de républicains et même contre certains membres de l’opposition libérale la plus modérée. On y voulait voir la préparation d’un coup d’État, et ce qui accréditait cette hypothèse dans l’imagination populaire, c’était la hâte avec laquelle on avait voulu faire disparaître ces mandats ; ils avaient été trouvés à demi consumés dans une cheminée au moment de l’envahissement de l’Hôtel de Ville.

L’irritation fut grande contre les fonctionnaires accusés par la rumeur populaire d’avoir trahi la République, sans qu’on sût bien la part de chacun dans le crime de complicité d’évasion qu’on leur imputait solidairement.

Challemel-Lacour était plus particulièrement visé ; cet autoritaire déguisé en « vigoureux républicain » n’avait visiblement été envoyé à Lyon que pour entraver la justice du peuple ; la clameur publique s’élevait contre lui plus menaçante qu’elle ne l’était contre le procureur général ou le procureur de la République.

Une réunion de protestation fut organisée le 21 septembre dans la salle Valentino à la Croix-Rousse. Il était dix heures du soir ; la réunion battait son plein ; j’appris qu’on y délibérait sur le point de savoir si la Croix-Rousse descendrait sur l’Hôtel de Ville : il me parut plus simple de monter à la Croix-Rousse.

Élu conseiller général de ce quartier dans les derniers mois de l’Empire, j’espérais, malgré la défaveur dont m’enveloppait ma nouvelle fonction, y avoir conservé quelque popularité et pouvoir y faire écouter des paroles de patriotisme et de sagesse.

Ce fut comme une stupeur, lorsque, entrant dans la salle Valentino, je me dirigeai vers la tribune, et qu’interrompant les déclamations furibondes de je ne sais quel orateur, je demandai la parole.

Accueilli d’abord par l’unanime murmure de l’assemblée, quand je revendiquai pour mai seul la responsabilité d’une