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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 28.djvu/797

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le Grand et appelé auprès de lui Kang-Yu-Wei. Les édits novateurs émanaient directement de la volonté impériale dans toutes les formes légales ; ils ne détruisaient pas les antiques institutions pour les remplacer par des importations étrangères ; c’est dans le vieux fonds traditionnel qu’ils allaient chercher les élémens d’une restauration nationale. Confucianiste orthodoxe, Kang-Yu-Wei invoquait l’autorité des philosophes classiques, prêchait le retour aux saines doctrines et aux vieilles mœurs : tant il est vrai que les convictions réactionnaires, lorsqu’elles sont poussées jusqu’au bout de leur logique, conduisent souvent aux plus révolutionnaires audaces. Les réformateurs acceptaient les encouragemens et l’appui moral des Japonais, mais ils entendaient rester avant tout Chinois.

On sait comment l’impératrice Tze-Hi, soutenue par le Mandchou Jong-Lou et Li-Hong-Chang, arrêta net la série d’édits par lesquels l’Empereur avait tenté d’improviser à la vieille Chine une toilette moderne. Contraint de signer sa propre déchéance, Kouang-Siu fut relégué au fond de son palais, et l’Impératrice mère reprit l’exercice du pouvoir. Plusieurs des partisans de Kang-Yu-Wei furent décapités ; lui-même parvint à gagner un bateau anglais et à s’enfuir à Singapour ; il vit aujourd’hui aux Indes où il est l’hôte et le protégé du vice-roi ; il y attend, en étudiant, sous la direction des Anglais, les institutions et les mœurs européennes, que la mort de Tze-Hi lui permette de rentrer en Chine. Son parti est très désorganisé et sa personne toujours honnie ; mais ses idées sont triomphantes, adoptées par la Cour elle-même, exploitées et réalisées par ses ennemis d’autrefois, pendant que ses anciens partisans, les Cantonais, les riches Chinois de Singapour ou de Hong-kong, passent au parti révolutionnaire ; le plus connu de ses anciens amis, Liang-Tche-Tchao, émigré après l’affaire de 1898 au Japon, où il a fondé un journal réformiste chinois, est devenu l’un des chefs des révolutionnaires. Il se pourrait que le réformateur de 1898 eût le sort de tant d’initiateurs : le jour où ses idées triompheront, lui-même sera presque entré dans l’oubli.

Exilées ou décapitées dans la personne de Kang-Yu-Wei et de ses partisans, les idées réformistes ne disparurent pas ; elles trouvèrent, l’année même où avorta la tentative de Kouang-Siu, un interprète haut placé dans la personne de Tchang-Tche-Tong, le puissant vice-roi des deux Hou ; son livre fameux,