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a parcouru, l’année dernière, les principales villes de l’Empire, témoigne avoir vu partout de petits corps bien exercés, formés aux meilleures méthodes européennes, souples et adroits aux exercices du corps, munis de bons fusils et de canons modernes : nous voilà loin des fameuses « bannières » avec leurs soldats armés d’arcs, leurs parasols et la profusion de leurs drapeaux ! Le recrutement s’est amélioré ; aux dernières levées, dans le Hou-pe notamment, on a compté une proportion appréciable de volontaires instruits, bacheliers même. Le mandarin militaire est moins méprisé ; la leçon de la défaite a appris aux Chinois qu’un grand État qui tient à son indépendance ne saurait être impunément antimilitariste ; les lettrés les plus éminens sont aujourd’hui les premiers à reconnaître la nécessité d’organiser une armée nationale solide, capable de faire respecter les intérêts et la dignité de l’Empire. Les étudians donnent l’exemple du patriotisme : au commencement de 1903, lorsqu’on apprit que les Russes refusaient d’exécuter leurs promesses et d’évacuer la Mandchourie, les étudians chinois de Tokio s’organisèrent aussitôt en bataillon de volontaires et déléguèrent deux des leurs au vice-roi du Tche-li pour lui offrir de marcher au premier rang contre les envahisseurs ; les étudiantes elles-mêmes s’en mêlèrent ; elles organisèrent à Tokio un petit corps d’infirmières pour prêter au besoin leur concours à leurs camarades masculins. Il ne s’agit là, sans doute, que d’une minorité ; mais c’est par la tête, par l’élite, que les peuples se régénèrent ; de tels symptômes sont caractéristiques ; ils rappellent les temps du Tugendbund en Allemagne ; ils signifient que la vieille Chine se renouvelle et se métamorphose.

Il n’existait, jusqu’à présent, en Chine, ni armée, ni marine nationale ; chaque vice-roi entretenait les troupes qu’il jugeait nécessaires à la sécurité de sa province ; l’Empereur disposait seulement des « bannières » tartares qui, depuis longtemps, ont perdu toute valeur militaire. Un effort a été fait pour remédier à cette décentralisation : un organisme central a été créé, le Lieng-Ping-Tchou, sorte de conseil supérieur dans lequel prédomine la volonté de Yuan-Chi-Kai, le plus japonisant des vice-rois ; des bureaux, correspondant à une sorte de ministère de la Guerre, ont été organisés ; les vice-rois en ont bien montré quelque mauvaise humeur, mais ils ont dû s’incliner. L’Empire est divisé en vingt régions militaires correspondant aux dix-huit