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exagérée qu’on m’aurait donnée à Chambéry de votre fortune et à l’idée si douce qu’elle se plaît à vous donner que cette fortune est l’unique mobile de mes sentimens ! vous avez vu vous-même si j’ai attendu pour vous aimer et pour m’engager à vous tout entier de savoir si vous aviez même l’ombre d’une fortune à vous ? Vous voyez que dans l’avenir j’en ai moi-même une certaine, qui en France et autour de moi aurait pu me faire trouver une femme suffisamment riche, si cette richesse eût été à mes yeux le seul besoin d’une union sans retour comme le mariage ! Je vous assure que jusqu’à hier, je ne savais pas un mot de votre fortune, et que celle que je présumais que vous pourriez avoir n’était pas le tiers de ce que vous avez en effet ! Je ne puis encore une fois comprendre comment Mlle Clémentine ose inculper d’une pareille bassesse un homme qu’elle doit au moins supposer un honnête homme ! J’en suis indigné ! Mais nous sommes tous deux placés par nos sentimens dans une région trop élevée pour que ces insinuations perfides et basses puissent seulement nous y éfleurer. — Nous nous aimons, ce seul mot répond à tout !

Nous nous aimerons toujours, ce seul mot suffira pour rendre inutiles à jamais toutes les persécutions directes et indirectes dont on nous entourera mutuellement. Adieu. Adieu. Vous et moi ! Qu’il n’y ait plus que ces deux noms pour nous dans le monde !


C’était une campagne en règle que l’aînée des demoiselles de la Pierre menait contre le soupirant de son amie, et sa stratégie savante disposait de plus d’une ressource. Après avoir présenté l’amant d’Elvire comme un homme à bonnes fortunes et sans foi, elle l’accusait tout uniment d’être un coureur de dot. On ne s’étonnera pas trop qu’il ait conçu quelque impatience de se savoir en butte à des insinuations si blessantes et si injustes, et qu’il ait souffert de sentir entre lui et celle qu’il aimait cette influence étrangère et importune. L’orage se préparait. Il va éclater dans cette grande lettre, une des plus éloquentes que. Lamartine ait jamais écrites, véritable plaidoyer pour son bonheur. Nous n’avons pas celles auxquelles il répond et qui l’émurent si fort ; mais nous savons ce qu’elles contenaient. Y avait-il, de la part de Mlle Birch, défaillance passagère ou honnête coquetterie ? Avait-elle été impressionnée par les propos de Mlle de la Pierre ? Sans doute, en raison de cette intimité qui s’était depuis longtemps établie entre les deux jeunes filles, Mlle Birch devait être gênée par l’opposition de son amie ; et, — dans sa candeur, — elle priait qu’on l’aidât à triompher de cette hostilité. De son côté, Lamartine, inquiet comme un amoureux, attacha trop d’importance à quelques phrases moins significatives qu’il ne le craignait. Au surplus, il fallait que son