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jusqu’ici et quels sont ceux dont il convient de l’expurger désormais pour la rendre plus pure ? Tout le monde se comprenait autrefois lorsqu’on prononçait le mot de patrie : il n’en est plus de même aujourd’hui. On fait des distinctions ; on crée des équivoques. C’est assurément le superlatif du byzantinisme ; car enfin, à Byzance, au moment où l’ennemi est entré dans la ville le cimeterre au poing, on discutait sur des subtilités théologiques bien puériles, si l’on veut, et bien vaines, mais non pas du moins sur la patrie. Il y a là quelque chose qui nous appartient en propre ou qui, nous le craignons, ne nous fera pas grand honneur dans l’histoire. Où en sommes-nous, grand Dieu ! si à l’évocation de la patrie nos intellectuels se demandent de quoi il s’agit et quelle part de vrai et de faux contient ce vocable ? Quand un peuple est tombé dans cette aberration, s’il ne s’en relève pas tout de suite, il est perdu.

Nous signalons la crise du patriotisme parce qu’elle a pris depuis peu une acuité particulière. L’imagination populaire a été nourrie des plus détestables sophismes. On l’a habituée à croire que la guerre était toujours une manifestation de notre barbarie originelle, mais que, les progrès de la civilisation en ayant enfin fait justice, nous n’en verrions plus le retour. De là à condamner l’esprit militaire, et bientôt après l’esprit patriotique lui-même, il n’y avait qu’un pas. Nous ne glorifierons pas la guerre à la manière de Joseph de Maistre. Il faut faire, pour l’éviter, tout ce que l’honneur et les intérêts vitaux de la patrie permettent. S’il est vrai toutefois que les nations, comme les hommes eux-mêmes, sont des êtres vivans, elles doivent comprendre qu’il y a des choses plus précieuses que la vie des individus qui les composent et des devoirs pour lesquels il faut les exposer. Toute conception contraire conduit à la décomposition morale et à la décadence par le chemin de la lâcheté. On n’évite pas pour cela la guerre, tant s’en faut ! mais on se condamne d’avance à la défaite et à la pire de toutes, à celle que nous n’avons encore jamais éprouvée, à celle où on ne sauve même pas l’honneur. Nous espérons que la « crise du patriotisme » tend à son terme : sinon, ce serait la patrie elle-même qui tendrait vers le sien.


Les traits essentiels de la situation extérieure ne se sont pas modifiés depuis quelques jours : sur quelques points ils se sont précisés, sur d’autres ils sont devenus plus confus. L’entente cordiale, heureusement nouée ou renouée entre la France et l’Angleterre, s’est manifestée par les fêtes de Portsmouth après celles de Brest. On ne peut pas dire