Majesté… » Quinze jours plus tard, la somme arrivait de Berlin ; mais Frédéric ne se retenait pas d’y ajouter une épigramme : « C’est une consolation pour moi que ces rois tant vilipendés puissent être de quelque secours aux philosophes. Ils sont donc au moins bons à quelque chose[1]. »
Au commencement d’octobre, d’Alembert et Condorcet se mirent en route de compagnie. Avant de gagner l’Italie, ils avaient résolu de traverser la Suisse. Comment ne pas s’arrêter à Ferney ? Ils le firent en effet, et s’y trouvèrent si bien qu’ils n’allèrent pas plus loin. L’accueil de Voltaire, sa gaîté, le mouvement et l’activité de cette hospitalière demeure, chassèrent les idées noires, rendirent à d’Alembert l’appétit, le sommeil et le goût de la vie. Dès qu’il se sentit mieux, il lui parut intolérable de rester plus longtemps privé de son amie ; et novembre le vit rentrer dans son appartement de la rue Saint-Dominique. Sur les 2 000 écus du roi, c’est bien juste si sa dépense atteignait 1500 livres ; il versa le surplus chez le banquier de Frédéric, et ce dernier n’ayant pas voulu le reprendre, il employa l’argent à des œuvres de bienfaisance. « M. d’Alembert se porte bien depuis son retour, mande peu après Condorcet au P. Paciaudi. Il avait besoin de voyager pour sentir le prix du repos et d’une vie douce avec un petit nombre d’amis. »
Pendant ce temps, à des centaines de lieues de là, ce même humble logis, qui, par un charme irrésistible, attirait d’Alembert, était le but vers lequel convergeaient d’autres désirs non moins ardens et plus partagés sans nul doute. Sur cette « terre bénie » de Valence et parmi les brises parfumées par la senteur des orangers, Mora convalescent se rongeait d’impatience. Irrité des délais imposés à sa hâte, il cédait parfois, lui aussi, à la fougue de son caractère et contristait par d’injustes reproches les amis dont le zèle s’efforçait de le retenir : « Son Excellence a le goût du tragique, — gémit plaintivement Casalbon à la suite d’une scène de ce genre, — et emploie un langage aux couleurs renforcées. On ne se débarrasse pas d’un assassin avec des termes plus injurieux que ceux dont il s’est servi envers moi ! » Il vint une heure où rien ne prévalut contre une impétueuse volonté. Malgré les conseils des médecins et les prières de sa
- ↑ Frédéric II à d’Alembert, 18 août. Ibidem.