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Elle ne le remplira pas si elle permet qu’on assure même à des insoucians des avantages supérieurs à ceux que s’assure par lui-même un honnête père de famille et si elle fait payer à celui-ci une partie de ce qu’elle octroie à celui-là.

Elle ne le remplira pas si, se reposant sur le pouvoir du soin de tout faire avec des procédés anonymes, uniformes et mécaniques, elle renvoie devant des guichets grillagés les malheureux qui auraient besoin d’un secours moral et d’un réconfort personnel.

En retour, même en ne mettant que des ressources restreintes à la disposition de ses bureaux, la société peut faire largement son devoir si elle sait multiplier les œuvres libres. En un court volume, digne de devenir le guide classique de toute assistance, M. Münsterberg, de Berlin[1], a formulé quelques-uns de ces principes, et il l’a fait avec un bonheur d’expression d’autant plus digne de remarque et d’éloge qu’il parle au nom d’un État si fortement centralisé. « On ne saurait assez dire, écrit-il, que l’assistance (il entend ici plus précisément l’assistance publique sous sa forme ordinaire, la délivrance d’une somme d’argent) occupe le dernier rang dans les mesures contre l’indigence. » L’indication du travail, ajoute-t-il avec raison, voilà ce qui mérite par-dessus tout l’attention et les efforts réunis de la bienfaisance, de l’assistance et de la science sociale. Or ici, l’action de l’État n’a rien d’indispensable, et quand elle s’exerce le mieux elle ne fait après tout qu’enregistrer un état de choses créé en dehors d’elle. L’auteur berlinois[2] avertit même les œuvres de ne pas trop ressembler, en se développant, aux administrations publiques. « Ce qui manque le plus aux associations, ce sont les visiteurs ; ils sont cependant indispensables. Les visites personnelles, l’enquête, la détermination des circonstances particulières aux nécessiteux sont ce qu’il y a de plus indiqué, et sans les concours charitables, tout ceci est impossible. »

Donc, autant il est nécessaire que l’État conserve la répression comme son œuvre propre, qu’il n’en délègue aucune portion, autant il est permis de contester que l’assistance soit une de ses attributions essentielles et réservées. On doit toujours se défier d’un pouvoir qui, au lieu de se borner à être le redresseur de

  1. L’Assistance, trad. en français par M. R. Bompard, ancien député, 1 vol. in-12. Paris, Masson.
  2. Voyez en particulier page 42 et page 114 de la traduction française.