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décrets révolutionnaires qui bouleversent les dénominations pour leur donner des apparences libérales, égalitaires et fraternelles, mais ne modifient en rien le fond des choses : « Art. I. Les agens de change sont supprimés ; — Art. II. Il est établi des agens d’échange, chargés de… etc. » Les « gardiens de la paix » vous passent-ils moins les gens « à tabac » que s’ils s’appelaient encore agens de police ou sergens de ville ? Je veux bien qu’un mot nouveau ait sur les imaginations une action plus ou moins profonde quand il résume quelque chose de vraiment nouveau, le caractérise et en fixe dans les esprits l’idée jusque-là flottante et indécise. Mais quand on se heurte à des misères aussi vieilles que le monde, à quoi sert de jeter sur elles un voile transparent ? On a supprimé le mot de « galères, » on a supprimé le mot de « bagne. » On leur a substitué, quoi ? La « transportation, » mot assurément bénin, et la « colonisation pénale, » mot plus doux encore. Eh bien ! est-ce que la chose n’a pas subsisté ? Cayenne prouve-t-il, assure-t-il plus que Toulon l’adoucissement des mœurs pénitentiaires et la régénération des criminels ? Non ! l’utopie de la colonisation par masses de libérés est définitivement morte, pour cette seule raison qu’elle n’était point née viable. Un instant, sans doute, le gros du public, qui aime les illusions, trouve là une occasion, — : et il la saisit avec empressement, — de s’en procurer quelques-unes. Mais bientôt ces illusions tombent, et on s’aperçoit qu’on a, je ne dirai pas déshonoré, mais usé sans profit un mot de plus. Le nom de Saint-Lazare sonnait bien quand on ne pensait qu’à la fondation de saint Vincent de Paul. Il est devenu plutôt repoussant depuis qu’on a rempli la maison de toutes les femmes que l’on sait. Mais qu’un beau matin la prison s’appelle asile humanitaire ou refuge de la rue du faubourg Saint-Denis, celles qu’on y mettra seront-elles autre chose que des voleuses, des empoisonneuses et des prostituées ? Faudra-t-il simplement les assister comme si c’étaient des enfans martyrs ou de pauvres filles ignorantes de ce qu’est la vie ? Qu’on les traite d’ailleurs avec des méthodes plus ou moins diversifiées, qu’on leur enjoigne de parler au lieu de se taire et de lire des livres au lieu de coudre, le public ne leur donnera pas plus sa confiance que du temps où on lui disait : Cette femme sort de Saint-Lazare. Qu’on puisse relever ces malheureuses, et faire que leur passé soit oublié, — d’elles-mêmes d’abord, puis des autres ; — que ce soit là une œuvre à ne jamais abandonner,