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époque. — Cela vous donnerez à vous trois mois de séjour pour rétablir parfaitement votre santé dans un beau climat et à moi le temps de faire des arrangemens nécessaires dans mon pays et dont je ne puis me dispenser. — J’ai dans ce moment-ci plusieurs choses sur le cœur et aussi dans la tête — qui me rendent absolument malade dans mon lit d’où je vous écris, et cette semaine nous avons aussi l’embarras du déménagement. Mais nous serons établis à Caramagne, avant que vous puissiez arriver après la réception de cette lettre — et je vous prie d’être persuadé que, loin d’avoir des préventions contre vous, quoique j’ai si peu l’honneur de vous connaître, je serai bien aise de vous voir. Je suis, monsieur,

Avec beaucoup d’estime, etc., etc.

C. B.


Cependant Lamartine arrivait à Chambéry le 12 avril ; il revoyait Marianne Birch après une séparation qui avait duré plus de sept mois ; car il ne semble pas que, depuis les jours d’Aix, les jeunes gens eussent pu se revoir. Il sentit mieux auprès d’elle toute la vivacité de ses sentimens. « Je vous aime plus que je ne croyais possible, après vous avoir déjà tant aimée. Je ne croyais pas que cela pût augmenter, mais je vous ai revue si charmante, si parfaite !… » Il sut plaider sa cause et la gagner. A défaut du père de Lamartine, retenu par sa mauvaise santé, mais qui se faisait suppléer pour tous les règlemens d’intérêt par son gendre Xavier de Vignet, « fort au fait des lois de son pays et même du code civil français, la Savoie ayant été longtemps sous ce régime, » Mme de Lamartine arriva, « se faisant une fête de ce voyage qui la mettait, à même de juger des aimables et solides qualités de sa future belle-fille[1]. » Car il est à noter qu’elle ne la connaissait pas encore.

A quoi bon conter maintenant les incidens et contrariétés qui se produisirent jusqu’à la dernière heure, et pourquoi en fatiguer le lecteur ? Ne vaut-il pas mieux demander aux chants mêmes du poète de manifester l’état de son âme et de traduire ses sentimens tels qu’ils étaient dans leur intime profondeur ? C’est à ce moment qu’il écrit les vers apaisés de Consolation :


Quand pourrai-je la voir sur l’enfant qui repose
S’incliner doucement dans le calme des nuits ?
Quand verrai-je ses fils de leurs lèvres de rose
Se suspendre à son sein comme l’abeille aux lis ?…
  1. Lettre de Pierre de Lamartine de Prat à Mme Birch, 30 avril.