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Auprès des paysans de Weber, d’un Max et d’un Kilian, les villageois de Monsigny, de Grétry, de Boïeldieu, ressemblent à des personnages de paravent ou d’éventail. Et de ses paysannes, que dirons-nous ?


Adieu Marton, adieu Lisette !
Adieu tout le peuple soubrette !


Adieu « le peuple bergère » également. Adieu les bocages et les berceaux de verdure. Voici les grands bois, voici le soir. La blonde fiancée du chasseur, Agathe, une paysanne pourtant, s’agenouille et prie. Sur le plus français de nos théâtres de musique, quelle humble fille de la terre de France pria jamais ainsi, d’une voix aussi pure et surtout aussi profonde ? Lequel de nos opéras-comiques fit jamais une telle part à Dieu d’abord, puis à la nature, à ses puissances et à ses mystères ? Entre le plus délicieux de ces ouvrages — si vous le voulez, ce sera la Dame blanche — et le Freischütz, il y a la même différence qu’entre l’aimable apparition du château d’Avenel et les fantômes affreux de la Gorge aux Loups, entre la poltronnerie du fermier Dickson et la tragique épouvante de Max le franc-tireur.

Pour marquer la distance, il suffirait encore ici, comme tout à l’heure, d’une chanson. « Vive le vin, l’amour et le tabac ! » Cela se chante d’un bout à l’autre de notre répertoire, et le Kaspar de Weber, l’archer maudit qui fit un pacte avec Satan, ne chante point autre chose. Mais « il y a la manière, » et ce n’est pas la même dans les couplets du Freischütz et dans ceux du Chalet.

On rapporte que Beethoven, assistant à la représentation de Léonore ou l’Amour conjugal, un petit opéra, pour ne pas dire un opéra-comique, de Paër, se tourna vers l’auteur, dont il était le voisin, et lui dit : « Il faudra que je mette votre ouvrage en musique. » Il fit comme il avait dit et Fidelio fut créé. Beethoven mit vraiment le sujet en musique : il le plongea, le fondit en quelque manière dans les sons ; ou plutôt il l’éleva de toute la hauteur, il l’élargit de toute l’ampleur de la musique, de sa musique à lui, Beethoven, et c’est ainsi qu’il l’anima d’une vie supérieure, universelle, infinie.

Notre opéra-comique est doué d’une vie plus modeste. Comme le Fidelio de Beethoven, il a ses héros prisonniers : Alexis le déserteur ou « le vaillant roi Richard. » Mais si touchante, si noble que soit leur captivité, le cachot de Florestan est l’asile