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d’Auber est fini. Rien que dans une phrase comme celle de Baucis : Philémon m’aimerait encore, la courbe mélodique, le rythme, les modulations, la cadence, tout se détend et s’attendrit. Avec cela, nulle sensiblerie, nulle mollesse. Aucune emphase non plus. Les dieux sont ici d’opéra-comique et n’ont garde de l’oublier. Ils ne chantent ni du Lully ni du Gluck. La cantilène de Jupiter : Si Vénus à la légère, ferait plutôt songer à Mozart, et Mozart est divin par la grâce plus que par la majesté. Même finesse et même discrétion dans la couleur antique. Mais il suffit du chœur des Bacchantes et de l’entr’acte vraiment dionysiaque, pour venger le génie de la Grèce, que peu d’années auparavant le musicien de Galatée venait de méconnaître et de profaner.

Représentée d’abord, comme Philémon et Baucis, au Théâtre-Lyrique, Mireille devait passer un jour à l’Opéra-Comique et s’y trouver à sa place. Le gentil vannier et la tendre magnanarelle ne sont-ils pas frère et sœur des couples amoureux et rustiques d’autrefois ? Avec autant de grâce, il y a seulement plus d’ardeur et plus de vie en leur amour. La nature aussi déploie autour d’eux une poésie nouvelle, et dans l’admirable mélopée d’Andreloun, le petit pâtre de Provence, ivre de soleil et de solitude, les bergers de Versailles ne reconnaîtraient plus ni leurs chansons ni leur voix.

Ainsi l’opéra-comique se développe, loin de s’égarer et de se contredire, sous l’influence de Gounod. Celle-ci porte, même plus loin qu’on ne pense, et le musicien de Mignon, par exemple, n’aurait peut-être pas su traduire en une romance fameuse les regrets et les désirs de sa touchante héroïne, s’il n’eût été le contemporain du musicien de Faust.

L’éthos et les convenances du lieu n’avaient pas permis à Mignon de mourir. Quelque dix ans plus tard, la mort de Carmen fit scandale, et même sa vie. On cria non seulement à la corruption, mais à la confusion, et le genre du chef-d’œuvre de Bizet, comme sa beauté, ne fut pas compris. Il portait cependant, au milieu de touches plus fortes, les signes de sa nature et de son rang. Par le sujet et par le style, Carmen s’éloigne également du grand opéra français et du drame lyrique allemand. Elle ne doit rien à l’histoire et rien à la légende ou seulement à la poésie. Romantique par le lieu de l’action et par le décor étranger, elle est plus réaliste encore par l’action même et