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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 29.djvu/305

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Saint-Priest eut mission de le chapitrer à sa descente de voiture, de lui exposer pour quels motifs on ne le traiterait « que comme un voyageur qui vient prendre les ordres du Roi, » et pourquoi celui-ci ne lui donnerait audience que dans son cabinet. Le ministre royal put d’ailleurs colorer d’un excellent prétexte la résolution prise de ne pas l’invitera dîner. Le grand-duc Constantin, l’un des fils du Tsar, de passage à Mitau, dînait chez le Roi ce jour-là, et nul étranger n’eût pu être mis en sa présence. Dumouriez ne s’offensa d’aucune de ces raisons. Quand Saint-Priest, « après les lui avoir fait sentir, » le conduisit chez d’Avaray, à qui le général voulait soumettre ses plans militaires, il était résigné à garder l’incognito. L’exposé de ces plans remplit les deux soirées qu’il passa chez d’Avaray ; il parla peu des princes de la branche cadette et ne put que confirmer au favori de Louis XVIII ce qu’il lui avait écrit le 29 septembre précédent, en lui envoyant la copie de sa lettre au Duc d’Orléans. Son « jeune ami » ne lui avait pas encore répondu ; Dumouriez ne savait même pas si le prince était déjà revenu d’Amérique. Il repartit le surlendemain sans avoir pu dissiper les incertitudes de la cour de Mitau encore accrues par les siennes.

Elles ne commencèrent à se dissiper qu’au commencement d’avril. A cette date, les journaux anglais et le Spectateur du Nord qui se publiait à Hambourg apportèrent au Roi quelques détails sur la visite du Duc d’Orléans à Monsieur. A en croire ces gazettes, la démarche du prince lui avait été conseillée par l’une de ses amies, Mme de Sillery. Mais tout cela était encore trop vague pour qu’on y pût ajouter foi. Le 7 avril seulement, ces nouvelles obscures furent confirmées par les lettres du Duc d’Orléans et de ses frères. Cet acte de soumission depuis si longtemps attendu et ardemment désiré causa au Roi comme à son entourage la joie la plus vive. D’Avaray qui nous l’apprend se flatte d’avoir dicté à son maître ce qu’il convenait de faire en ces importantes circonstances : « Je pensai qu’il était de l’intérêt du Roi de donner un grand exemple de clémence et un témoignage éclatant de la sincérité, de la grâce même avec lesquelles il pardonne ou plutôt efface les torts que l’on reconnaît et les erreurs que l’on rétracte. » Il conseilla donc au Roi de demander à l’empereur de Russie pour le Duc d’Orléans la grand-croix de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem et d’accorder à ses frères la décoration