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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 29.djvu/463

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c’est une question secondaire de savoir si Boileau a été plus ou moins impartial à l’égard de Ronsard. Et qui donc s’est jamais piqué d’être impartial vis-à-vis de ceux dont il venait combattre les théories et renverser l’idéal ? Ce qui est certain c’est que la conception artistique de Boileau est justement l’opposé de celle de Ronsard. Celui-ci préconise une forme d’art qui n’est que l’expansion du moi, et qui a pour règle souveraine la fantaisie de l’artiste ; dédaigneux du vulgaire, il n’écrit que pour quelques-uns, et met son orgueil à se séparer de la foule ; et tout embarrassé d’érudition, il retarde sa marche ou il alourdit son vol sous le poids d’un bagage scolaire. Boileau admire les anciens, non parce qu’ils sont les anciens, mais parce qu’ils peuvent nous guider dans cette étude de la nature à laquelle les modernes s’appliquent à leur tour ; il se méfie d’autant moins du suffrage de la foule qu’il assigne pour règle à l’œuvre d’art les principes de la raison dont il sait que la valeur est universelle. Et que Boileau ait été d’une rudesse un peu incivile pour les Saint-Amant, pour les Brébeuf et autres pauvres sires, c’est ce qui était rendu nécessaire par l’urgence du danger qu’ils faisaient courir à notre littérature. Au cours des désordres de la Fronde, dans le désarroi d’une société tourmentée, sous l’influence d’un ministre italien et d’une reine espagnole, c’étaient tous les ennemis de notre esprit qu’on voyait une fois de plus se coaliser contre lui : c’étaient le romanesque et l’emphatique, et tout à la fois le précieux et le cynique. Grâce à Boileau, — qui sut les imposer à l’admiration publique, et leur imposer à eux-mêmes le respect de leur propre génie, — les Racine, les Molière, les La Fontaine ont pu, en quelques années, accomplir toute leur œuvre et développer tout leur mérite. Dans l’espace de ces quelques années qui enferment tout le siècle de Louis XIV, il s’est formé une littérature pure de toute influence étrangère où l’esprit français a donné l’expression la plus noble et la plus achevée de lui-même et par laquelle il a rayonné sur tout le monde civilisé.

C’est cette littérature dont on voudrait aujourd’hui contester les titres. C’est elle qu’on s’efforce de noyer dans ce qui l’a précédée, afin qu’elle disparaisse devant ce qui l’a suivie. La besogne à laquelle tâche M. Dreyfus-Brisac, d’autres y travaillent, chacun de son côté et par ses moyens ; mais leur dessein à tous est le même et leur but est identique. Car voulez-vous savoir d’où procède cette levée de citations contre la littérature de 1660 ? Et voulez-vous savoir pourquoi ni Boileau ni Racine ne peuvent être tenus pour de bons poètes ? Savourez cette tirade : « Boileau… n’est que le ministre de Louis dans la