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que suivre une voie frayée avant lui : car, de plus en plus, la conviction s’impose à nous qu’une grande école de mosaïstes et de peintres à fresque existait à Rome, dès le milieu du XIIIe siècle, qui avait définitivement commencé à s’affranchir des traditions byzantines, pour créer un style plus libre, plus vivant, plus pénétré d’observation personnelle. C’est de cette école qu’est sorti Giotto : il n’a pas « ressuscité » la peinture, pour immenses que soient les services qu’il lui a rendus ; et voilà encore une déception à laquelle les partisans de la suprématie artistique de Florence seront désormais forcés de se résigner !

La déception sera du reste beaucoup moins pénible pour ceux qui, sans aucun parti pris de race ni d’école, se contentent d’admirer le génie de Giotto ; et ce génie aura même de quoi les toucher davantage, dépouillé d’une fausse gloire qui risquait de leur cacher sa véritable grandeur. In cujus pulchritudinem ignorantes non intelligunt, magistei autem artis stupent, écrivait Pétrarque, dans son testament, d’une Vierge de Giotto qu’il léguait à son ami Francesco de Carrara. Le fait est que peu d’œuvres ont été aussi mal comprises que celle du célèbre fondateur de l’école florentine, et qu’il n’y a pas jusqu’aux « maîtres de l’art » qui ne l’aient louée pour des mérites tout autres que les siens. Ainsi Vasari, dans sa description du fameux Repas d’Hérode, à Santa-Croce de Florence, s’émerveille de « la façon vivante dont le peintre a su représenter les danses et les sauts d’Hérodiade, ainsi que l’empressement de quelques serviteurs, occupés au service de la table : » tandis qu’en réalité, dans la fresque de Giotto, Hérodiade se tient immobile, et les serviteurs, interrompant leur travail, ne s’occupent qu’à considérer la tête de saint Jean, que le bourreau vient d’apporter à la table d’Hérode. Non seulement Giotto n’a pas « inventé » la peinture moderne ; non seulement ce n’est pas lui qui y a introduit, sous prétexte de vérité, cette fâcheuse représentation de petits détails étrangers aux sujets traités : le progrès qu’il lui a fait faire n’a consisté, pour ainsi dire, qu’à l’empêcher d’avancer trop vite dans la voie « réaliste » où elle s’était engagée.

C’est ce qu’a essayé de nous démontrer un écrivain anglais, M. de Sélincourt, en analysant l’une après l’autre les quatre grandes œuvres qui nous restent de Giotto : les fresques d’Assise, le Ciborium de Saint-Pierre de Rome, les fresques de l’Arena de Padoue, et celles de l’église Santa-Croce de Florence. Ayant à écrire une biographie de Giotto, dont nous ne savons rien que ce que nous apprennent ces œuvres merveilleuses, M. de Sélincourt s’est borné à nous parler